Captain Savoy et ses Captain-Skis, III : entre les héros, la course a lieu !
Et bientôt il put lui dire : « Halte là, guerrier
étincelant, au costume rutilant, de gueules à croix d’argent ! Tu viens me
voir, tu voles vers moi de ton pont d’émeraude brillante, mais quel est ton
but, en agissant de la sorte ? Viens-tu pour m’attaquer, négligeant les
lois de l’hospitalité et oubliant que toi et moi (ainsi que je puis le voir à
ton accoutrement) sommes également de l’ordre éblouissant des Captains – gardiens
sacrés de leurs communautés respectables ? Car tu es Captain Savoy, n’est-ce
pas ? Ton habit te trahit : maintes fois j’ai entendu parler de toi à
la cour royale de mon père, le preux Cyrnos ; on m’a même montré tes images
peintes par ses elfes, lesquels l’entourent et le servent. »
Car c’était la première fois qu’ils se rencontraient, mais non
la première fois qu’ils avaient ouï parler l’un de l’autre. Captain Savoy lui
aussi reconnut Captain Corsica, son frère en l’ordre des Captains, et voici
qu’il répondit : « Mon frère, doux ami, pareil à moi en l’ordre des
Captains, sache que je viens te saluer avec la plus grande chaleur. J’ai aussi souventes
fois entendu parler de tes vertus, de ta noblesse, de ta force – et je brûlais
d’envie de te rencontrer. Je te félicite d’avoir pris l’initiative de venir
dans mon pays, car justement je désirais t’inviter : j’avais seulement
peur que tu refuses, et que tu ne trouves pas la Savoie digne de toi, ô champion
des mers du sud !
– Ton langage est galant, Captain Savoy ! Sache que tu
seras reçu tout aussi chaleureusement dans mon royaume qui est celui de mon
père, si tu t’y rends et n‘oublies point de prononcer correctement nos noms et
d’y placer l’accent tonique à l’endroit juste ! Mais je sais que, proche
de la belle Italie, tu n’es pas ignare en la matière – d’autant plus que, dans
une vie antérieure, grand seigneur, prince savoisien tu vécus aussi en
Angleterre, en Espagne, en Allemagne, au tournant que tu fus du Saint-Empire,
et que tu connais les secrets des langues étrangères et l’importance de
l’accent tonique en leur sein. »
A ces mots, Captain Savoy rit, car il n’ignorait rien de
l’importance que le génie de la Corse attachait à la prononciation correcte de
ses noms propres, si négligée par les orgueilleux Français venus de Paris. Il
connaissait, de fait, l’italien, que les princes de Savoie ont si souvent
parlé, et le corse même lui était familier – lui qui, issu du pisan, est
apparenté au toscan cher à nos voisins italiens.
(Comme Captain Corsica, Captain Savoy avait pris sur lui de
méditer tout particulièrement la Divine Comédie du Dante, où il s’était
reconnu dans plusieurs cercles – nous ne dirons point lesquels. Nous dirons
seulement que si le grand poète avait connu l’histoire pour lui à venir du
Comte Vert de Savoie, il l’eût mis avec Charlemagne et Roland, sur la planète
Mars !)
« Je vois », reprit Captain Savoy, « je vois,
dans l’ouverture de ta porte argentée, du sas coulissant de ton rutilant
vaisseau, que tu as pris tes étincelants skis. N’y a-t-il pas de belles pistes,
dans ton île splendide ? Ou as-tu voulu essayer les nôtres, en Savoie si
modeste ? »
A ces mots, Captain Corsica rit. Puis il dit :
« Ah, Captain Savoy, tes montagnes sont plus hautes que les miennes, mais
je ne sais pas si elles sont plus belles. En tout cas tu fais plaisamment ton
modeste. J’aime ça. Sur les pentes de tes monts je serais, peu familier à
leurs inclinaisons, défavorisé si je devais faire contre toi une course à skis.
Mais nous sommes, n’est-ce pas, d’abord des êtres faits d’éther : notre
corps a pour noyau une forme tissée par la bonté des étoiles, et notre
enveloppe physique n’est là, tu le sais, que pour nous assurer une action forte
et rapide parmi les simples mortels. C’est pourquoi, en toute amitié, je te
défie, mais sur les nuages : je te défie, avec nos skis que meuvent les
énergies cosmiques qui laissent derrière eux des traînes d’étincelles – je te
défie d’une course sur les courbes des nuages, où nous pouvons descendre et
monter aussi bien, parce que notre corps léger n’obéit guère qu’à notre
volonté, et aisément se libère de la pesanteur. Toutefois un nuage nous est
nécessaire : nos skis ne nous porteront pas sur l’air encore plus fin, car
telle est notre nature.
« Qu’en dis-tu, en tout cas ? J’ai très envie de me mesurer à toi, et d’éprouver si tu es aussi grand skieur que le dit la légende, et
que les suggèrent tous les mortels qui dans ton défunt duché gagnent des
courses parmi leurs pairs : puisque tu es leur maître secret, leur
inspirateur caché, leur muse en ce digne sport ! Parfois des Catalans
gagnent aussi des courses et, tu le sais, nous sommes lointains cousins, eux et
nous. Donc je te défie, en toute amitié, et si je gagne tu me donneras le
trophée que tu jugeras digne.
– Ah ! fit Captain Savoy. Ah !
que voilà une proposition galante ! Et si je gagne (mais cela n’arrivera
pas, je sais que tu es trop fort), si je gagne, de même tu me donneras le
trophée, tu m’offriras la récompense que tu juges la meilleure. Je te fais
confiance, entièrement confiance relativement à cela.
– Chaussons donc nos skis, et à nos marques ! »,
s’exclama Captain Corsica.
Et Captain Savoy éclata de rire, dénoua ses skis accrochés à
son dos, et les mit aux pieds. Captain Corsica fit de même, et plaça des bâtons
à ses mains. Il vit que Captain Savoy n’en faisait rien. « Tu n’as pas de
bâtons ? » s’enquit-il amicalement. « Voudrais-tu par hasard que
je t’en prête ?
– Non », répondit Captain Savoy. « Je skie sans
bâtons, c’est mon habitude.
– Très bien, alors allons-y ! » fit Captain
Corsica. Et ils allèrent se poster en haut d’un nuage, faisant face à une
véritable mer de nuages qui s’étendait dans la vallée de l’Arve, sous un ciel
étoilé et scintillant de lune, tandis que, hélas ! les habitants de la
vallée gémissaient sous une épaisse couche de brume. Au loin, à l’ouest, on
voyait encore les rougeurs du couchant, et au-dessus le ciel restait bleu clair,
bien que quelques étoiles, comme flottant dans une mer céleste, s’y vissent
déjà – en particulier la belle étoile de Vénus, que dans l’antiquité on
appelait Vesper, bénie soit-elle !
« Une bien belle vue, dit, ému, Captain Corsica.
– Oui, elle est bien galante, comme on dit par chez
nous. »
Alors ils se regardèrent, brièvement sourirent – puis
redevinrent sérieux, abaissèrent leurs lunettes de ski, et se penchèrent. Top !
le départ fut donné. Et ils s’élancèrent.
Ils tournaient souplement, glissant autour des moutonnements
de nuages pour ne point être ralentis : car leur corps léger pouvait
l’être comme par de l’épaisse neige, s’ils osaient traverser une volute trop massive.
Ils pouvaient, comme on sait, densifier leur corps à
volonté, pour éventuellement agir à terre, et combattre leurs adversaires incarnés.
Mais ils préféraient, au fond, être plus légers, surtout quand ils étaient en
paix : alors pareils à des elfes ils chantaient et dansaient joyeusement
sur les nuées, où ils rencontraient leurs amis les autres elfes. Tel était leur
privilège, qu’ils avaient pu, de leur nature mortelle, se hisser à la nature
elfique ! (Encore que, on le sait bien, par ses parents déjà Captain
Corsica appartenait à la race des ogres et des sirènes. Mais le lait humain
reçu de sa nourrice l’avait rendu autrefois plus lourd – avant qu’il ne récupérât,
selon qu’il le voulût ou non, une nature plus fine.)
Ils s’élançaient, et allaient à toute allure, presque comme
la lumière – et on les assimilait à des éclairs, ou à des étoiles filantes
rasant les nuages, depuis la terre où vivent les ordinaires mortels. Ils
faisaient jaillir des morceaux de nuage à chaque virage comme si c’eût été de
la neige, et c’était un spectacle trop plaisant à voir.
Mais il est temps de laisser ce récit quelque temps, avant d’exhiber
le quatrième épisode, qui verra la fin de cette course, et le commencement d’une
mission en équipe contre le noir taureau du Môle !
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