Captain France contre les robots en plastique: une épopée. Episode 10: projets d'évolution

(Dans le dernier épisode, le monstre en plastique éveillé à la conscience a charmé sa créatrice, l'ingénieure en plasturgie d'Oyonnax Marie-Sol Toclun, et ils sont devenus amants.)

Quand ils se réveillèrent, il était nuit. Et alors, le monstre, qui dit s’appeler Ernükhl, lui expliqua ce qu’il aurait mieux valu qu’elle ne sût jamais : ses plans, et le moyen de les réaliser.

Cependant, elle en fut charmée. Et elle décida que ses plans étaient bons, et qu’il fallait qu’elle se mette à son service, pour l’aider à réaliser ces plans.

Quels étaient-ils ? Il s’agissait de soigner des gens atteints de graves maladies, dont les membres et les organes étaient trop abîmés, rendus inopérants par des tumeurs ou des infections irréparables.

Mais la science en devait demeurer secrète : il ajouterait, à ses connaissances à elle, tout ce dont elle aurait besoin pour réussir ses opérations. Or, l’origine de cette connaissance ne pouvait être révélée au monde : il fallait que son existence même demeurât inconnue. Car sinon, de méchants hommes, égoïstes et engagés dans les rivalités politiques et les compétitions entre États, s’empareraient de lui, Ernükhl – et ils le tortureraient, puis envahiraient son royaume caché, gâtant les bienfaits qu’il entendait sincèrement apporter aux hommes.

Elle le regardait, l’écoutait, l’admirait. Croyant tout ce qu’il disait, et souhaitant qu’à nouveau il veuille l’embrasser, qu’il veuille d’elle, la prendre dans ses bras. [Une nouvelle coupure doit être effectuée ici, qui sera rétablie dans la version imprimée, plus discrète.]

Revenus à leurs sens, ils reprirent leur discussion. Marie-Sol voulait savoir comment ils pourraient garder secrète cette science nouvelle. Le gouvernement s’intéresserait forcément à leurs offres de soins, ferait procéder à une enquête. Son compagnon déclara qu’il fallait, avec les personnes soignées par elle, créer une communauté nouvelle – une élite de femmes et d’hommes augmentés, reliés à des ordinateurs et à la masse des informations circulant sur le réseau connecté. Leur force accrue, leur résistance virile à toute agression – qu’il s’agît de coups, d’accidents ou de maladies – les rendraient propres à créer dans notre humanité une révolution dont les débuts, comme dans toute évolution authentique, devaient être soigneusement préservés, maintenus secrets, à l’abri des mauvaises intentions des puissants, et de la stupidité du commun.

Des rituels et des dogmes devraient souder cette communauté, réunie en une secte de bâtisseurs discrets, destinée à fonder les temps nouveaux. Y entreraient tous ceux qui, en échange de soins non répertoriés par l’Académie de Médecine, accepteraient de garder le secret, justement, et d’agir sans se dévoiler au reste du corps social.

Un jour, ils révéleraient tout, partageant avec le reste des gens leur surhumanité – inaugurant une nouvelle ère, qu’on daterait de sa propre incarnation dans un corps de plastique, à lui, Ernükhl !

Des étoiles remplissaient les yeux de Marie-Sol, des étincelles même en jaillissaient, illuminant l’air : elle ne voyait aucun péril à cette belle entreprise de révolution mondiale dont elle serait la co-autrice, avec son nouvel amant. Qui deviendrait son mari. Car il lui parla de mariage selon un ordre rituel dont il allait donner les formes, afin de créer la nouvelle communauté : il connaissait les gestes et les mots qui soudaient les âmes en profondeur, les plaçant dans la lumière des siècles.

Un principe traverserait les cœurs dans leur partie profonde, disait-il, qu’on ne pourrait pas briser, et qui s’imposerait éternellement au monde, toujours tellement en danger de dissolution ! L’humanité serait refaite, en attendant de partir coloniser d’autres planètes : car, comme elle l’avait deviné, les corps en plastique, transportant les cerveaux rallumés après avoir quitté les corps naturels, le permettraient !

Elle sentait son sein se gonfler d’orgueil, et voulut tout de suite se mettre au travail. Mais le monstre lui recommanda de procéder par étapes, prudemment, avec méthode, afin de ne pas gâcher leurs chances : dans un premier temps, évidemment, le peuple et ses dirigeants ne comprendraient pas leur projet, et le combattraient, dès qu’ils en verraient affleurer, à la surface, les éléments épars.

Il était rusé, plus qu’on ne saurait dire, plus qu’aucun homme de la Terre.

Ils se mirent néanmoins au travail. Et Marie-Sol prit contact, discrètement, avec des malades en phase terminale auxquels elle proposa ses soins expérimentaux, gratuits et secrets.

Un jour, un homme que la mort terrifiait accepta. Il fut le premier membre de la confrérie armée des Corps de Plastique.

Et Ernükhl, cherchant à l’envoûter, le convainquit, dès après sa guérison, qu’un jour le gouvernement corrompu chercherait à l’enlever, ou à détruire leur entreprise, et qu’il fallait se préparer à se défendre, pour le vrai bien de l’humanité future. Persuadé par ce que lui disait son maître, cet homme devint un guerrier accompli dans le maniement des armes – qu’il accepta même, pour partie, d’intégrer à son organisme : de sa main gauche sortaient des balles, à la simple gâchette de son vœu ! Il était le premier des supersoldats qu’Ernükhl et désormais Marie-Sol Toclun s’efforçaient de construire.

A suivre.

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