Captain France contre les robots de plastique: une épopée. Episode 7: le cauchemar est vivant
« Qui êtes-vous ? », s’écria Marie-Sol. Nulle
réponse ne lui parvint. « Qui êtes-vous ? répéta-t-elle.
Répondez ! Répondez, ou je vous donne des coups de bâton ! » Joignant
le geste à la parole, elle leva au-dessus de sa tête le bâton de ski qu’elle
tenait dans sa main gantée de laine.
Non seulement l’être obscur resta coi, mais il parut à ce
moment s’avancer vers elle. Elle abattit donc le bâton – qui, au lieu de
rencontrer un corps solide, traversa la vapeur tournoyante, tout en tirant
après lui quelques volutes de poussière jaune. L’ombre leva une main, et fit
entendre un son horrible – une sorte de chuchotis mêlé de gargouillement. Chose
horrible à dire, Marie-Sol y crut reconnaître des mots ! L’être
l’appelait, prononçait son nom.
Soudain, comme surimprimé sur la brume jaune et
tourbillonnante, un visage apparut : celui d’un homme à la bouche en forme
de rictus, munie de grosses dents blanches. Épouvantée, Marie-Sol fit un bond
en arrière. Le nain de vapeur épaissie cessa d’avancer. Puis reprit sa marche,
si l’on peut parler de marche : car Marie-Sol ne lui voyait pas de jambes,
mais plutôt des serpents de vapeur enroulée et noire, glissant au-dessus du
sol.
Marie-Sol, acculée à la paroi de la fosse, se retourna et remonta
brusquement celle-ci. Il se passa alors quelque chose d’incroyable : le
petit cyclone vivant s’éleva à son tour dans les airs, prenant appui sur le
vent. Ses jambes en queue de serpent prirent l’allure d’un ressort de fumée,
d’une spirale de vapeur jaune noircie par sa propre épaisseur. Marie-Sol
éprouva la plus grande terreur de sa vie.
Elle voyait, en face d’elle, à nouveau le visage distinct du
nain hideux, avec sa grande bouche pleine de dents énormes. Elle distingua,
dans la vapeur qui ne cessait de s’enrouler sur elle-même, deux yeux brillants,
qu’elle avait pris jusque-là pour des flammèches, des feux follets agités dans
ce tourbillon. Ils la fixaient d’un air cruel et menaçant.
Soudain, le nain de vapeur épaissie de jeta sur elle, dans
une odeur de soufre infecte. Marie-Sol cria. Et elle se sentit pénétrée par une
fumée âcre, par la bouche, le nez, les yeux, toute sa peau. Elle pensa
étouffer. Elle s’évanouit de terreur et d’asphyxie.
Lorsqu’elle reprit conscience, elle sentait une pluie piqueter
son visage, et de l’eau glisser sur ses joues et son front. Elle bénit cette
fraîcheur, car il lui semblait se réveiller d’un gros cauchemar. Elle s’était
endormie, elle s’en souvenait à présent : fatiguée, elle s’était allongée
sur la mousse. Elle regarda au-dessous d’elle : il n’y avait pas de fosse,
de parcelle effondrée. Elle s’amusa de son rêve, de sa folie. Elle n’en fut pas
moins étonnée de voir son thermos ouvert, et le café répandu, ou bu : elle
ne se souvenait pas l’avoir porté à ses lèvres autrement que dans son rêve. Peut-être
était-il tombé à l’occasion d’un mouvement qu’elle avait effectué, et l’avait-elle
mal fermée ?
Elle revissa le bouchon, se leva – et, comme elle était
trempée, elle revint vite à sa voiture. Une fois à l’intérieur, elle mit le
chauffage à fond, et s’élança vers son appartement. Elle y prit un bon bain
chaud, fit couler dans sa gorge une bonne tisane au miel, et se coucha. Elle dormit
jusqu’au soir. Après ces jours et ces jours de travail, l’épuisement l’avait gagnée,
elle ne s’en était pas rendu compte !
Elle regarda un peu la télévision, consulta ses messages, et
retourna se coucher. Le lendemain elle se leva tôt, et s’élança vers son
laboratoire.
Le mercredi arriva : la date exacte, si on veut le
savoir, est le 11 octobre 2017. Le mercredi était le jour où elle pouvait travailler
plusieurs heures dans son laboratoire sans être interrompue : il était
réservé à ses recherches fondamentales. Les autres jours, toute à son travail de
plasturgie industrielle, elle ne pouvait que passer brièvement à son
laboratoire pour voir si tout allait bien – si son rejeton artificiel
ingurgitait bien, par voie intraveineuse, l’alimentation oxygénée dont il avait
besoin, et rejetait bien, par d’autres tuyaux, ce qu’il avait pu digérer.
Elle observa de nouveau son être artificiel par le hublot au
sommet du caisson – et ses yeux restaient désespérément vides. Vitreux, ils ne
contemplaient rien, et le souffle qui soulevait la poitrine de l’être en
plastique semblait incapable de lui apporter le moindre gramme de conscience.
Cependant, elle sentit quelque chose s’agiter en elle, mouvoir son estomac et ses boyaux. Elle eut, soudain, une forte envie de vomir – qu’elle n’expliquait aucunement. Elle avait mangé normalement, ce matin-là et la veille – très peu de viande, beaucoup de légumes.
A suivre.

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