Petit voyage en Sicile: agriculture, famille, lois complexes et merveilleux chrétien (1)
Premièrement, donc, j'ai été saisi par le caractère traditionnel des relations sociales et économiques.
D'abord, un Piémontais dans l'avion (il parlait les mêmes trois langues que moi - anglais, français, italien) me signale que les vins siciliens ne cessent de croître en qualité, grâce à un travail sérieux et constant des entrepreneurs: en particulier l'Etna Rosso, bénéficiant de la grâce naturelle du terrain volcanique. L'Etna est une source immense de richesse et de fierté, en Sicile orientale, et on le personnifie abondamment, on lui voue une véritable affection, on lui est reconnaissant de sa vie et de ses dons. On s'amuse de ses dangers, cela crée de l'aventure. On évoque ses dernières coulées de lave avec ferveur, on essaie de deviner les prochaines, c'est toute une affaire! Et on parle des cendres qui nourrissent le sol et rendent l'herbe plus verte, les vins meilleurs - y compris, bien sûr, que les français!
De fait, l'agriculture est prise en Sicile très au sérieux: le travail de la terre est très bien fait, et contredit toutes les accusations de paresse jetées à la face des locaux par d'autres. Les champs sont impressionnants. Tout est soigneusement coupé, remué, retourné, la cadence est bonne, la rigueur de mise.
Autre chose encore étonne: le sentiment communautaire et familial. Sur les plages, on vient en groupe - en famille élargie. On connaît la chose grâce aux films de gangsters américains se passant dans le milieu italien importé. Il est très fréquent de voyager ou simplement de circuler à plusieurs voitures, aucune ne pouvant contenir toute la famille où on l'entend là-bas. Mieux encore, il n'est pas rare de voir ces familles prendre des aises qu'on n'oserait pas prendre en France. On s'arrête au bord de l'autoroute pour manger, et alors on sort les sièges pliables, les thermos, les sandwiches, et la mère sert les hommes, en priorité les conducteurs. (A ce qu'une amie d'origine sicilienne m'a dit, les sœurs aussi, en principe, mais cela se perd!)
A vrai dire, en Sicile, on s'arrête sur les bandes d'arrêt d'urgence même pour téléphoner, et cela me donne ma transition pour ma seconde partie: l'irrespect assez profond des normes, à comparer de l'Europe du Nord et même de la France - c'est dire.
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La circulation automobile est connue, en Italie et en particulier en Sicile, pour être spécifique: il faut s'imposer, mais sans jamais devenir violent. De même, dans les voitures et dans la rue, les familles facilement se disputent, haussent le ton, font des grands gestes, mais cela ne va que rarement jusqu'à la colère extrême, les coups: c'est spontané et naturel, mais pas pervers. Cela ressemble à la vie paysanne, il faut l'avouer: on n'y vit pas selon les manières fixées par les lois, mais on y a des coutumes, des règles, des équilibres - et on y vit, enfin.
Les lois modernes viennent de bourgeois qui sont allés dans les grandes écoles étudier le droit romain ou international. Les industries aussi. Mais quand le peuple reste communautaire et campagnard en essence, il ne parvient pas - qu'il le veuille ou non, qu'il ait ou non de la bonne volonté -, il ne parvient pas si aisément à s'y adapter.
Doit-on dresser une liste? La vie urbaine, quoique sans danger identifiable, ressemble volontiers à un doux chaos. L'arnaque est fréquente, la ruse constante - sans qu'on voie de pugilat ouvert. La confusion aux ronds-points est assez grande pour qu'on ne sache plus du tout qui a la priorité. Qui s'en soucie? Le ramassage des ordures est irrégulier et partiel, autant que j'aie pu en juger. Les abords des routes ne sont pas propres. Partout des ordures. Les poubelles publiques souvent pleines à ras bord. Les toilettes des cafés, des restaurants et même souvent des musées souvent sans papier, voire sans eau, malgré de clairs outils prévus pour l'eau et le papier.
Les sites archéologiques ont une organisation compliquée, et des incohérences fonctionnelles. Apparemment, de grandes ambitions de départ ont élaboré des dispositifs ne correspondant pas réellement aux besoins du public, ou à ses pratiques. Des risques imprévus font ajouter une multiplicité d'interdictions factuelles. Des pans entiers du parc de la Vallée des Temples, à Agrigente, sont délaissés par les visiteurs malgré l'argent dépensé pour les réaliser. Les choses sont conçues dans l'abstrait avec une certaine grandeur, mais les habitudes ne leur correspondent pas - et l'autorité des instances organisatrices n'est jamais assez grande pour les modifier.
Car c'est le problème: les institutions semblent avoir peu d'autorité et de puissance. Elles restent un corps étranger - et, contrairement à ce qui se passe en France, semblent s'y résigner!
Il faut dire qu'au fond de la culture locale, indépendamment des talents agricoles et de la richesse de la vie familiale, existe une vraie grandeur. J'y reviendrai une fois prochaine.

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