Captain France contre les robots en plastique: une épopée. Episode 6: tourbillons jaunes
Marie-Sol Toclun, désespérant de pouvoir donner une conscience à son monstre en plastique, décide de se rendre dans les montagnes surplombant Oyonnax à l'est pour se changer les idées.
Trois jours plus tard, dimanche vint. Marie-Sol se prépara, se
vêtit de son habit noir élastique, plaça un bandeau bleu sur ses cheveux
blonds, mit ses chaussures de randonnée à ses pieds revêtus de grosses chaussettes
beiges, se saisit de deux bâtons de ski, d’un sac à dos – qu’elle remplit –,
puis partit, de bon matin, vers les chemins ombreux du Jura, déserts en cette
saison d’automne.
En s’approchant, elle vit, depuis son pare-brise, les épaisses
forêts de la montagne pentue exhaler des brumes – comme si les esprits,
essayant de s’échapper de leurs ténèbres, entraînaient avec eux de la vapeur sombre.
Elle parvint après un dernier virage au parking où
débutaient les randonnées jurassiennes : un panneau les indiquait, dans le
brouillard.
Aucune voiture n’était visible devant elle. Elle aimait
mieux cela. Ses pneus crissèrent sur le gravier répandu au-delà de la route qu’elle
avait laissée, et elle se gara contre le talus. De son coffre elle sortit ses
affaires, puis se mit en route sur l’un des chemins indiqués par de petits
panneaux jaunes.
Longtemps elle marcha,
passant d’un arbre à l’autre sans bien voir la différence entre eux – et
prenant, tout de même, plaisir à respirer l’air plein de senteurs automnales,
d’odeurs de feuilles tombées et mouillées, molles, noires, tendant à la boue, et
à savourer sur sa peau les gouttelettes fraîches en suspension de cette journée
humide. Régulièrement elle admira, sur les branches, les feuillages jaunis, éclairés
par un soleil que voilait la brume. Des bruits dans les fourrés se faisaient
entendre – signant le pas d’écureuils ou l’envol d’oiseaux.
Elle marcha, marcha – et même erra, car secrètement elle
cherchait quelque chose, mais sans savoir quoi !
Bientôt elle entra dans un endroit qui lui parut bien singulier :
entre de hauts arbres aux racines pendantes, une parcelle s’était comme
effondrée – créant une sorte de fosse. Sous les troncs élancés des rochers blancs
émaillaient la terre noire, figurant des morceaux de mur.
Le lieu, assez large, était profond, plutôt obscur, et les
racines pendantes créaient le sentiment de fenêtres primitives : la terre
était si noire, derrière, qu’on avait l’impression de grottes dissimulées sous
la mousse dont s’élançaient les hêtres.
Or, Marie-Sol se sentit bientôt observer. Des yeux semblèrent
s’allumer dans cette terre noire, entre les barreaux de racines qui paraissaient
maintenir à distance d’obscurs monstres, des nains vagues de la forêt. La
courageuse ingénieure secoua la tête, chassant cette image absurde de son
esprit pleinement rationnel.
Elle se persuada rapidement que la fatigue, surtout, avait
créé ce sentiment fugitif, et qu’elle avait maintenant besoin de repos – et
qu’en réalité ce lieu était, pour cela, parfaitement approprié ! Elle s’assit,
s’appuya contre une des parois de cette fosse, et sortit, de son sac, une thermos
brillante, dont elle dévissa le bouchon : portant à ses lèvres l’ouverture
ronde, elle savoura le café brûlant qu’elle y avait versé presque à l’aube. Une
vapeur en montait, familière et rassurante.
Soudain, devant elle, des feuilles sèches se mirent à bouger
au sol, comme dérangées par un vent qu’elle ne perçut pas, ne le sentant
aucunement sur son visage : les feuilles même des arbres ne bougeaient
pas. Elle regarda ces trois petites feuilles, amusée et intriguée, comme s’il
se fût agi de petits chats, ou d’enfants jouant à se poursuivre en rond.
Cependant, leur course prit de l’allure, et une poussière s’éleva
avec elles. Marie-Sol fut bien étonnée quand elle vit les feuilles mêmes s’élever
dans les airs et continuer leur ronde ! Elle fit un mouvement de recul, d’instinct,
et se cogna la tête contre une pierre engoncée dans la paroi de terre noire
derrière elle. Un petit cri sortit de ses lèvres. Elle ferma les yeux, les
rouvrit : une sorte de vapeur jaune, désormais, entourait les feuilles et
la poussière, tournant à la façon d’un tourbillon. La colonne animée était
assez grande pour qu’elle sente, régulièrement, un souffle passer sur sa
figure, qui venait assurément de ce minicyclone !
L’odeur n’en était guère agréable. Marie-Sol fronça le nez. Était-ce
du méthane ? se demandait-elle. La couleur le suggérait. Elle songea au
phénomène rare, mais non inconnu, de vapeurs émanées de corps en décomposition,
sous le sol, et qui, au contact de l’air, vibraient et même parfois s’enflammaient :
des lueurs effectivement se distinguèrent, figurant des yeux qui clignaient et
disparaissaient !
Le cyclone prit brusquement une forme singulière : à l’intérieur,
une forme vaguement humaine sembla se dessiner ! Toutefois les mouvements
gazeux continuaient-ils à se faire, traversant cette espèce d’ombre, ou
semblant y rentrer et en sortir en alternance. Marie-Sol se leva, effrayée. Sous
ses yeux les traits d’un nain massif, puissant, sombre, se matérialisaient dans
cette vapeur jaune, et elle ne savait plus si elle rêvait ou se tenait
éveillée. Les cheveux de l’être se mouvaient comme de lents tentacules, et son
corps semblait changer de contour, comme s’il manquait de fermeté. Mais elle en
était sûre, il y avait là, devant elle, quelqu’un !

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