Captain France contre les robots en plastique: une épopée. Episode 5: souvenirs d'homoncules
(Désespérée, Marie-Sol Toclun, ingénieure en matière plastique, vient de constater que l'être vivant artificiel qu'elle a réussi à créer a un regard définitivement stupide.)
L’ingénieure soupira. Comment, désormais, lui donner une conscience digne de ce nom ? Elle aurait bien dû se douter, qu’aucune ne naîtrait comme ça, spontanément, dans un vulgaire corps en plastique !
Elle réfléchit. Elle médita. Et, en attendant de trouver une
solution, adopta un protocole d’alimentation du monstre, et de dégagement
régulier de ses déjections. Il fallait bien s’occuper de lui, quand même.
Passaient les jours, passaient les nuits – sans que le
monstre ne donnât de signe d’intelligence supplémentaire. Marie-Sol consulta
des ouvrages spécialisés sur les circuits neuronaux : elle avait tout bien
respecté, dans l’élaboration de la structure !
Cependant, le monstre ne faisait que réagir à des
stimulations simples, semblant à peine plus éveillé qu’une grenouille morte.
Regardant par la fenêtre les monts du Jura qui surplombent
Oyonnax, elle commençait à désespérer de résoudre son problème, et songeait à
fondre dans un brasier incandescent, au fond d’un four, sa création avortée.
Elle contempla la crête des montagnes se dessinant sur le
ciel oriental – et, en apercevant les lueurs roses du couchant sur les forêts
impénétrables, une étrange sensation lui vint.
S’asseyant dans son canapé, toujours face à ces montagnes
lourdes et massives, elle les regarda encore un peu, ferma les yeux, lasse – et
peut-être se mit à somnoler. Elle rouvrit brusquement les yeux : entre ses
paupières entrouvertes, des formes plus brillantes que les nuages illuminés du
ciel lui avaient paru courir dans l’espace tendu entre la chaîne de montagnes
et ces mêmes nuages.
Elle se pencha en avant, n’en croyant pas ses sens : mais, une fois son cerveau réactivé, ces
formes disparurent. Elle ne pouvait plus en voir aucune.
Simple illusion d’optique, songea-t-elle ! La fatigue l’avait
certainement favorisée. Elle n’en pouvait plus !
Mais l’instant d‘après, une idée naquit, lumineuse, dans son
cerveau. Quelque chose lui revint en mémoire à la façon d’un lointain orage.
Ce fut, au début, très diffus – et puis cela prit forme
nette : cela coulait dans sa mémoire de ses années de collège. On lui
avait, alors, raconté des légendes alpines. Deux en particulier se succédèrent
dans son souvenir, s’y liant curieusement.
La première était relative au sarvant, également
connu dans le Bugey. Il s’agissait, selon les savants, d’un esprit forestier
domestiqué : on lui faisait des offrandes, et il veillait sur la maison –
faisait le ménage, prenait soin des bêtes. Si on oubliait d’honorer ce genius
locii – si on omettait de lui laisser, le matin ou le soir, des grains de
millet ou de blé, des coupes de lait, voici qu’il se déchaînait et que des
assiettes tombaient, que des queues de vaches s’emmêlaient, que des familles se
déchiraient ! Les esprits forestiers, toute l’humanité y a cru, ou y croit
encore. Et toute l’humanité a cru, ou croit encore qu’on peut les domestiquer,
au nom d’un dieu ou d’un être sublime tel que le Bouddha. C’est immanquable.
La seconde légende qui lui était revenue en mémoire était
plus curieuse : on racontait, parmi les paysans, que quand un homme se
masturbait au-dessus d’un fumier, et que sa semence y coulait, un homoncule,
petit homme sombre, y naissait après quelque temps – doué d’autonomie, quoique
pervers et obscur. On ne savait, ensuite, comment s’en débarrasser. Tout un
rituel devenait nécessaire.
Ces deux fables tournaient dans la tête de Marie-Sol –
s’opposaient, s’entrechoquaient, se croisaient, se rencontraient, se nouaient,
se dénouaient, se séparaient, se percutaient – et, comme elle songeait à ce qui
manquait à son monstre pour être muni d’une véritable conscience, elle voyait
bien, tout de même, le rapport existant avec ces deux légendes.
Elle décida que, le dimanche suivant, elle se rendrait seule
dans les monts Jura, et s’y promènerait : que, là, une solution lui
viendrait peut-être...
Puis elle se rendit à sa voiture, la démarra, et rentra chez
elle jusqu’au matin suivant, où elle retourna à l’usine pour exercer
normalement son métier d’ingénieure habituel.

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