Captain France contre les robots en plastique: une épopée. Episode 4: premier combat

(Marie-Sol Toclun, ingénieure en fabrication plastique, exténuée après une tentative extrême de fabriquer un être artificiel, décide de se reposer.)

Malgré sa fatigue, elle laissa passer un petit rire, avant de se coucher sur le lit, à plat ventre.

Elle se souvint alors de la présence fréquente sur elle du bon professeur, et crut entendre sa voix. L’appelait-il ? Déjà somnolente, elle ne savait plus s’il était présent ou non. Elle se demanda, comme en rêve, si elle ne devait pas se mettre nue. Portant la main au bouton de son pantalon, elle le manipula quelques instants – avant, épuisée, de s’enfouir dans l’épaisseur du sommeil.

Un bruit sourd l’éveilla. Pendant qu'elle dormait, son pantalon, déboutonné, avait parcouru le fil de ses hanches, laissant à nu l’essentiel de ses fesses : la culotte blanche avait été rabattue à sa suite. Sans doute avait-elle bougé en dormant, se tortillant sur les draps blancs tandis qu’elle chavirait toujours plus dans la fosse de ses songes.

Le bruit sourd se répéta : celui d’un pas pesant au seuil de la chambre.

Elle se sentit observer ; un picotement courut le long de la double rondeur qu’avait tant affectionnée Antoine de Roquefranque, durant leurs ébats. Sous le poids du regard étranger, des étincelles sans doute y naissaient.

 Marie-Sol se retourna brusquement, effrayée, et remonta en toute hâte son habit impudique. Elle craignait l’abus d’un mâle – mais ce qu’elle vit alors devait la marquer à tout jamais : elle en emporterait l’image jusque dans la tombe !

 Au seuil de la pièce, la regardant d’un œil enflammé, se tenait l’être qu’elle avait rêvé, et était sorti de sa machine à fabriquer des surhommes : déjà debout, refroidi dans son corps en plastique, il avait pris la forme prévue par les équations chimiques de Marie-Sol – et c’était un géant, mais parfaitement sculpté, aux membres équilibrés, proportionnés et harmonieux, musclé, pareil à une statue antique !

Il était nu, et l’inceste ne le troublait pas – à moins qu’il n’y eût en lui comme l’écho du désir d’Antoine de Roquefranque, au fond son père, et que le lien avec Marie-Sol ne fût pas réellement celui d’une mère. Elle était peut-être davantage l’accoucheuse – et la mère était cet inconnu qui dort dans le plastique, dans la matière obscure aux yeux de l’esprit émancipé des apparences. En tout cas, son désir est visible, et il le tirait manifestement vers Marie-Sol.

Il s’avança d’un pas, comme saisi par une force supérieure. Il tendait ses longues mains de plastique vers son accoucheuse, déjà prêt à l’activité reproductrice qui dans son cas n’aboutirait sans doute à rien. Marie-Sol ouvrait grands les yeux, ne sachant comment échapper à cet élan irrépressible, et – elle le savait – au-delà de toute conscience normalement évoluée. La vie parlait en lui, crue, sauvage, éventuellement destructrice.

Il n’y avait pas d’autre choix que de l’apaiser par surprise. Elle se précipita vers sa table de chevet où étaient ses gants de caoutchouc, les glissa sur ses doigts, et saisit l’organe dressé du monstre, qui en fut pétrifié. Il arrêta sa course, ne sachant plus que faire. De quelques coups secs elle l’acheva, et il ouvrit grand la bouche, puis tomba sur le sol, inerte : le choc l’avait abattu d’un coup.

Réprimant un mouvement de dégoût, Marie-Sol demeura dans l’action pure, héroïne de la science vraie. Elle courut chercher deux rouleaux de sangles en lin, et les ramenant elle en déroula un, dont elle attacha les poignets du monstre et ses chevilles en les reliant, puis en refermant leurs boucles métalliques d’un coup sec. Le monstre remua, laissant passer de sa bouche diaphane plusieurs soupirs qui peu à peu devenaient sonores – presque des gémissements. Cependant il ne pouvait, dans son état de faiblesse et de choc, empêcher l’entreprenante et vigoureuse Marie-Sol Toclun de l’enchaîner à sa guise.

Celle-ci entreprit, justement, de le déplacer par un mécanisme dont son génie était aisément capable : déroulant le second rouleau de sangle, elle glissa le lien sous celui qui reliait les poignets et les chevilles de sa créature, fit en boucle qu’elle resserra par un nœud, puis, marchant précipitamment vers sa machine à produire des êtres en plastique, l’attacha l’autre extrémité, en faisant également une boucle et un nœud, à un rayon d’acier du tambour qui lui permettait, lorsqu’il effectuait un mouvement de rotation, de mêler complètement les éléments de la matière attendue. Puis, bondissant vers son tableau de bord, elle actionna le mécanisme électrique de ce tambour alchimique – qui, aussitôt, commença ses tours.

D’un tour à l’autre le lien resserré traînait lentement sur le sol de linoléum le corps énorme du monstre en plastique, le faisant passer par la porte ouverte en lui cognant la tête et les jambes. La pauvre créature n’en pouvait mais : inexorablement ramenée vers le laboratoire, elle fut approchée par pression manuelle d’un caisson de fonte étendue sur le sol. Pressant successivement deux boutons rouges en plastique transparent, Marie-Sol déclencha le mécanisme de déverrouillage et d’ouverture de la boîte large de deux mètres, profonde d’un et longue de trois : elle l’avait réservée à certaines de ses expériences les plus hardies.

Poussant le corps lourd de son fils artificiel vers l’ouverture du caisson à l’aide de la sangle tirée depuis le tambour de son cube démiurgique, elle parvint, enfin, à en faire tomber la matière molle et transparente. En tombant elle fit un bruit sourd, atténuée par sa nature même, de plastique malléable. L’ingénieure détacha alors la sangle attachée au tambour, puis fit basculer la porte vitrée du caisson, la ferma et la verrouilla à nouveau, pressant encore un bouton rouge transparent.

Elle se rapprocha de la vitre : le visage de sa créature y apparaissait. Congestionné, il marquait toujours l’état de choc dans lequel son esquisse d’âme avait été plongée. Cependant, allongé, ce monstre reprenait apparemment ses esprits : ses yeux retrouvaient une vivacité témoignant d’un contrôle revenu sur lui-même – et sa poitrine de nouveau se soulevait et s’abaissait, selon un rythme apaisé.

Pour respirer, il bénéficiait de trous sur les côtés, que des lames pouvaient, en glissant, laisser libres ou hermétiquement closes : Marie-Sol avait pris soin, dès le monstre installé dans sa boîte de fonte, de les ouvrir.

Se penchant, elle le fixa, à travers la vitre. Il avait des yeux implorants, mais stupides.

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