Captain France contre les robots en plastique: une épopée. Episode 3: les rêves de gloire
La personne dont il est question ici (épisode 3 de l'épopée de Captain France contre les robots en plastique) est Marie-Sol Toclun, savante experte en production plastique, qui rêve de créer un être en platique.
Elle s’attribuait, au-delà de sa démarche scientifique, une fonction mystique. Elle pensait être la source d’une nouvelle ère – devant féconder un Homme nouveau, par lequel l’Évolution renouerait avec sa vraie croissance. Déjà elle l’imaginait s’élançant vers Mars, indestructible dans sa fusée soumise aux rayons cosmiques ! Et puis de Mars il bondirait vers Vénus, qu’il coloniserait avec quelques ajustements lui permettant de supporter sans dommage les conditions spécifiques à cette planète. Enfin, muni d’un corps plus massif, mais non moins souple et dynamique, il pourrait résister même aux ouragans de Jupiter – et s’y bâtir des îlots de vie, dans l’immense chaos de vapeurs dont cet astre est constitué. Oh ! quelles perspectives ! Elle s’en émerveillait. Elle aimait cet enfant à venir comme un dieu.
À la fin, de tels Hommes du futur mettraient en coupe
réglée, si l’on peut dire, le système solaire tout entier – et le rendant
habitable le placeraient à la portée de l’humanité en croissance, dont elle
serait la bienfaitrice et même spirituellement la génitrice, par son génie
aussi bien que par ses œuvres. Par elle, par son ingéniosité et sa prévoyance,
par toutes les qualités féminines d’inventrice, de mère, et même d’amante
experte, une descendance synthétique assurerait à l’humanité actuelle une forme
d’éternité pratique, loin des illusions qui plaçaient la vie éternelle après la
mort. Elle offrirait à l’espèce humain le don incommensurable de surmonter les
cataclysmes planétaires et cosmiques que la science a pu établir pour notre
malheureux futur !
Voici qu’elle était une guérisseuse, qu’elle allait vaincre
les maux collectifs de l’humanité souffrante : celle que les vieux siècles
attendaient, Marie Madeleine de la science, fondatrice d’une lignée sainte et porteuse
du véritable Graal – au-delà du patriarcat qui avait laissé dans l’ombre la
véritable grâce durant des millénaires de soumission.
Et tout cela, par le travail approprié de la matière
plastique ! Par sa vitalisation, par la métamorphose organique de cette
substance physique – modelable à l’infini, et complètement indestructible !
Quels bienfaits en découleraient !
Et elle se réjouissait déjà pour l’avenir, ressentant avec
satisfaction son altruisme total. Par elle, enfin, la mort serait vaincue !
De l’être humain de plastique, toute infection bannie. Tout
virus, dissous. Toute fatalité, abolie.
Marie-Sol Toclun regarda encore ce qui se tramait derrière
le hublot de sa machine cubique. Avec la température qui baissait, rien ne
remuait plus. Avait-elle échoué ? Elle soupira. Évidemment, la roue
n’avait pas été inventée en un jour. Ni même la machine à vapeur !
Lorsque la température se fut suffisamment abaissée, elle
ouvrit le hublot. Une forte odeur chimique et organique mêlée se fit
sentir. Une certaine puanteur sulfureuse excita ses narines offensées.
Cependant Marie-Sol l’appréciait, elle en savourait intellectuellement la
grandeur, le signe qu’elle portait au monde. L’air en tremblait de peur, se
disait-elle ; et elle en riait sous cape.
Une tête molle, à peine reconnaissable, tomba de l’ouverture
comme une masse informe. On pouvait avoir vaguement l’idée d’yeux, ou d’une
bouche, mais la crâne n’était pas rond, il coulait au hasard de ses mouvements
et de son poids.
Le résultat en était hideux, mais Marie-Sol le trouvait
infiniment attendrissant, comme s’il se fût agi d’un gentil nouveau-né. Elle
s’approcha, et toucha le corps de plastique qui luisait à la clarté des néons.
Il était presque transparent, pareil à du cristal mou. Et Marie-Sol songea à
l’ésotérisme tibétain, qui prétend que les sages peuvent se faire des corps de
cristal à volonté : les couleurs du tableau de bord, issus de voyants
allumés, se reflétaient sur ce corps blanchâtre, créant en lui comme un
arc-en-ciel.
Marie-Sol ne put se retenir d’esquisser un large sourire, et
de frapper bruyamment les mains, avant de les passer sur son visage et dans ses
cheveux : si seulement cet être pouvait prendre vie ! Il est si beau ! Des larmes tièdes
vinrent aux yeux de la savante patentée.
De ses mains gantées de caoutchouc elle palpa ce corps mou
qui peu à peu durcissait – et qui restait chaud. Elle l’aimait. Elle le
caressait, le malaxait doucement. Elle reconnaissait en lui le souvenir de son amant,
évolué en corps indestructible par la grâce du plastique. L’être qu’elle avait
créé n’était-il pas également une excroissance de son ventre à elle ? Ah,
nul besoin d’avoir étudié Sigmund Freud pour en convenir : c’est sciemment
qu’elle avait déplacé ses forces de génération vers le monde artificiel, afin
de créer un être suprahumain !
Elle se sentit soudain très fatiguée. Un vertige la saisit.
Elle porta la main à son front, le souffle lui manqua. Une transpiration
abondante coula soudain de son front. Elle décida d’abandonner quelques
instants sa création, et d’aller se reposer dans la pièce adjacente : là
se trouvait un lit plutôt étroit, servant en principe à faire la sieste, à se
reposer entre deux phases de recherche – mais où elle se souvenait, en le
voyant, des ébats auxquels elle avait pris part, avec Antoine de Roquefranque. Le mieux était quand il...
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