Captain France contre les robots en plastique: une épopée. Episode 1: le secret de Marie-Sol
On se souvient d'un beau titre de Georges Bernanos: La France contre les robots. La tradition pleine de rectitude contre l'invasion de la technologie moralement indifférenciée - et le déchaînement des forces mécaniques brutes, qui efface en l'être humain les références séculaires qui nourrissent son âme et éclairent son esprit. Soit. D'autres pourront dire que l'avenir rayonne de valeurs sacrées et que la science les annonce. C'est également possible. La question artistique n'est pas là. La poésie puise à la Vivante Noosphère, où les oppositions temporelles, entre le passé et l'avenir, se brouillent, s'annulent. Les partis y deviennent dérisoires. Les habitants permanents de cette Vivante Noosphère en rient, des catégories brandies par les Hommes qui s'affrontent, pour justifier en général les instincts obscurs qui les agitent - et certes ne viennent pas du Monde des Idées, mais plutôt de l'Abîme Animal. A leurs yeux rayonnants, susceptibles d'éclairer les ténèbres, cela n'échappe guère. Sur Terre, même les philosophes s'y trompent. Les poètes, moins. Surtout s'ils sont épiques. La vraie question est que Georges Bernanos ne mettait pas en scène, pour ainsi dire en récit, l'affrontement symbolique qu'il annonçait dans son titre. Nous avons trouvé l'histoire emblématique qui y remédiera. Nous vous la présentons ici. Elle se nomme Captain France contre les robots en plastique d'Oyonnax. C'est plus précis. Il y a de quoi raconter. Les forces spirituelles ou morales vivent dans des êtres vivants - fussent-ils ressortissants de l'Abîme Animal ou de la Vivante Noosphère, comme le lecteur le verra, pas forcément néanmoins sous ces termes. Car ce ne sont pas des mots, mais des lieux. Voici le premier épisode, racontant comment une experte en industrie plastique a été amenée à créer des robots futuristes dans la célèbre vallée de la plasturgie d'Oyonnax en Bugey.
Marie-Sol regarda le hublot cristallin où tournait, comme dans une énorme machine à laver, des liquides colorés et visqueux – surtout rouge pâle, mais aussi traversé de flux grisâtres et de stries bleu foncé. Une masse plus sombre passait dans cette cuve reliée à des tuyaux qui partaient d’en haut et aux côtés, et qui vibrait sous l’effet d’une électricité qui artificiellement l’animait : de gros câbles noirs, semblables à des serpents, semblaient dérouler des anneaux, en transportant cette énergie dont Marie-Sol Toclun faisait varier l’intensité en tournant sur un large tableau de bord un gros bouton rouge. Des lumières s’allumaient, se reflétant dans ses yeux grands ouverts, constellant ses belles joues blanches de couleurs furtives : elles signalaient les phases ou les étapes d’un véritable rituel, commandant aux éléments et aux molécules : la jeune savante se sentait assez forte pour capter la vie et l’installer dans le corps qu’elle allait fabriquer.
Elle n’ignorait pas que, dans l’antiquité, ce qu’on appelle protocole scientifique était regardé comme une série d’actes magiques destinés à maîtriser la puissance divine. Les historiens, naïfs, le résument en parlant de croyance : c’est commode, pour ne pas saisir ce dont vraiment il s’agissait. En réalité, par une série de gestes, de paroles, d’objets maniés et disposés et de gaz répandus dans l’air, les rois étrusques maîtrisaient ce que Tite-Live nommait la foudre de Jupiter – et, à son tour, Marie-Sol Toclun était consciente d’effectuer un de ces rituels obscurs, lorsqu’elle mêlait l’électricité, le plastique, et des éléments chimiques tels que l’oxygène, le méthane, l’azote et le silicium, pour arracher la flamme de vie aux ténèbres !
Elle avait rencontré, à Genève, un cardiologue chercheur, expert en occultisme, Antoine de Roquefranque, qui lui avait parlé de ces mystères. Il prétendait que la légende de Frankenstein, savant genevois d’autrefois, était vraie, et que Mary W. Shelley, l’écrivaine anglaise qui l’avait racontée, s’était fondée sur les travaux d’un de ses ancêtres, Vital de Roquefranque, pour créer le personnage de Victor Frankenstein. Elle séjournait, à cette époque, à Genève, avec son mari le poète Percy B. Shelley, et avait rencontré cet ancêtre, grand lecteur de l’occultiste Corneille Agrippa : c’est ainsi qu’elle a prétendu qu’il avait trouvé le volume de cet écrivain allemand de la Renaissance dans une auberge de Thonon, en Savoie. Cependant, Corneille Agrippa a réellement vécu en Savoie, il a été le médecin personnel du duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier. Il a séjourné à Chambéry et à Turin, comme le duc même.
Marie-Sol Toclun avait été initié aux mystères de l’énergie vivante, déjà de nature plastique, par Antoine de Roquefranque qui avait conservé les secrets de son ancêtre – transmis de génération en génération –, et, forte de son diplôme d’ingénieure de l’Institut des Sciences appliquées de Lyon spécialisée dans la plasturgie, elle avait obtenu un emploi dans une des plus prestigieuses entreprises de la vallée dite de la plasturgie à Oyonnax, dans le département français de l’Ain : cette ville, d’ailleurs, était aussi, comme tout le Bugey auquel elle appartenait, intégrée au duché de Savoie à la Renaissance. Peut-être n’était-ce pas un hasard. En tout cas cette entreprise, nommée Médaplast, fabriquait des pièces plastiques originales et fortes, alimentant avec succès l’industrie automobile et informatique sur plusieurs continents ; et, rapidement, Marie-Sol Toclun s’était montrée si efficace, dans la conception et l’injection de ces pièces plastiques, qu’elle avait reçu des sollicitations de recrutement de la part de plusieurs grosses entreprises dans le monde : en particulier l’américaine Formula Plastics – sise à Tecate en Californie.
Le président directeur général de Médaplast, Paul Bontaz, transpirait à l’idée qu’elle s’en aille, et lui avait demandé ce qui pourrait la convaincre de rester : car il avait appris cette proposition venue d’outre Atlantique. Marie-Sol Toclun exigea un laboratoire particulier, où elle pourrait s’adonner librement à la recherche fondamentale. Il lui fut accordé. Et, désormais, maîtresse en plasturgie, et connaissant les secrets de la pérennité du plastique, elle s’efforçait d’y créer un corps justement plastique, animé par l’énergie électrique immanente à partir de ses propres structures internes – et susceptible, ainsi, d’éveiller en lui l’autonomie de mouvement à laquelle on reconnaît un être en vie. Et, qui sait ? une conscience, même, pourrait surgir des ténèbres de la matière ainsi subtilement modelée, pressurisée, électrisée – mise d’abord en chaos pour accueillir l’inconnu, avant de retrouver une forme nécessaire à l’électrisation de toutes ses parties. Elle connaissait, en effet, l’énigme mathématique de l’animation transcendantale, le jeu des figures géométriques susceptibles de polariser l’énergie flottant dans l’air. En ce sens, elle était une artiste. Mais, comme souvent les scientifiques, elle exagérait sous ce rapport son talent et ses prédispositions, restant jalouse des sculpteurs purs. La science est tellement vénérée des peuples que ses adeptes pensent embrasser tout ce qui est noble dans l’humanité, et pouvoir interdire la moindre faculté scientifique aux artistes et poètes leurs rivaux : ainsi va le monde. Autrefois, c’étaient les prêtres qui étaient réputés à la fois bons poètes et grands savants. Autre temps, autres mœurs.
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