Nature et poésie au domaine de Rovorée en Savoie

Le domaine de Rovorée contient un château élégant et un parc magnifique au bord du Léman, dans la commune d'Yvoire en Savoie (département français de Haute-Savoie, 74). La mairie en a fait un centre artistique et poétique, et, le 8 août, une manifestation exceptionnelle aura lieu, rassemblant plusieurs poètes de la région, héritiers d'Alphonse de Lamartine qui avait adopté la Savoie comme seconde patrie. De fait, l'organisateur, le grand poète Marcel Maillet, donnera, en préambule, une conférence sur Lamartine, comme poète lyrique par excellence et chantre de la nature, notamment alpine et lacustre.

Marcel, en effet, avant d'être poète était professeur de lettres, et même proviseur du lycée Saint-François-de-Sales, à côté d'Annemasse - et nous savons que François de Sales est le saint patron des poètes, qu'il n'y a pas de théologien qui ait eu un style plus poétique. C'est ce qui lui a permis de ramener à la foi catholique nombre de Chablaisiens convertis par la puissance bernoise et par le prestige de l'intellectualisme naissant, tel qu'un Jean Calvin le manifestait alors. Les Savoyards ont réfléchi, et se sont dit que si le catholicisme restait poétique à la manière salésienne, il valait quand même mieux que l'intellectualisme de Calvin. C'est s'il tombe lui-même dans l'intellectualisme que le protestantisme apparaît forcément comme plus logique. Mais doit-on tomber dans l'intellectualisme? François de Sales disait: Non. Et Marcel Maillet, de même.

Car, après sa conférence, une promenade poétique au bord du Léman et sous les châtaigniers du domaine verra des poètes réciter et déclamer leurs vers, et Marcel précise que la nature devra être chantée, peut-être décrite, ou donner lieu, dit-il expressément, à des "réflexions philosophiques ou religieuses". Et là, avouons qu'il est totalement dans l'esprit savoyard et salésien, puisqu'il n'exclut pas la réflexion religieuse de la poésie, comme cela se fait dans certains pays tyranniques plus ou moins voisins. Lamartine lui-même n'avait-il pas publié, en 1830, des Harmonies poétiques et religieuses? Je les ai lues, et elles sont très belles: mon grand-père savoyard avait gardé précieusement l'édition qu'il s'en était procuré, et mon père l'avait fait relier. Je les ai lues face au Môle, dans mon jardin de Viuz en Sallaz, où j'habitais alors. Une grande expérience.

Mais j'ai appris depuis, par Henri Guillemin, que ce recueil n'avait eu aucun succès, et que la critique parisienne s'était déchaînée contre lui à un tel point que même Lamartine a dû confesser sa honte et ses fautes et promis qu'il adopterait désormais un autre style. C'était avant la loi sur la laïcité, dont ce goût hostile à l'expression religieuse se réclame évidemment, bien que son contenu soit bien différent de ce qui l'arrange. Pierre Corneille, déjà, rapporte qu'on lui a reproché d'avoir traité le sujet religieux de Polyeucte sur la scène laïque. Il ne faudrait pas que ce goût agnostique invoque la laïcité pour devenir un dogme: Corneille et Lamartine resurgiraient de leurs tombes et ravageraient tout en colère.

Cependant, s'ils écoutent la poésie de Marcel Maillet, volontiers religieuse et assumée comme telle, ils seront apaisés: ils épargneront Rovorée, et le Léman, et peut-être toute la Savoie, au moins du nord. Car j'ai entendu dire que les institutions chambériennes n'aimaient pas forcément ce style salésien, et que même les études maistriennes y étaient en déshérence. Je ne sais ce qu'il en est.

On devait s'y attendre: traversant les associations officielles de poètes du département de Haute-Savoie (Cercle Littéraire & Artistique Savoie Léman, Cercle des Poètes Retrouvés de la Société des Auteurs Savoyards), plusieurs membres de la secrète et initiatique Guilde des Poètes féeriques de Savoie y seront, sous les traits apparents de Patrick Jagou, Martine Marsat, Rémi Mogenet (moi), et Marcel Maillet lui-même, notre mentor et doyen! 

Car, oui, cette Guilde a pour particularité d'accueillir le merveilleux sous toutes ses formes, y compris celles classées dans l'art religieux. Elle se lie à l'idée d'une poésie méditant philosophiquement ou religieusement la nature et ses mystères. Elle se lie à l'idée d'un genre nié, négligé, rejeté, la philosophie mythologique, qu'elle relève de la science-fiction comme chez Olaf Stapledon, de l'ésotérisme théosophique comme chez Louis-Claude de Saint-Martin, ou du catholicisme illuminé comme chez Joseph de Maistre. Ou même, bien sûr, de ce qu'Henry Corbin nommait la "philosophie islamique": pas de restriction, s'il vous plaît, chez les poètes. Si un poète veut dire que les montagnes nommées par le Coran comme devant commencer à marcher à la fin du monde ne sont pas celles de La Mecque mais celles de Savoie, il est libre d'en parler.

L'important est seulement la poésie, les rythmes qui lient les paroles humaines aux vers de lumière que prononcent quotidiennement les anges, les images qui s'y déploient quand ces vers, tels les skis de Captain Savoy, glissent sur les nuages, les idées vivantes et flamboyantes qui font virevolter ces vers jusqu'aux étoiles! Il faut, idéalement, que les trois soient ensemble. Parfois un seul aspect des trois se voit vraiment. Le surréalisme aimait les démons des nuages, les images des volutes, et critiquait les rythmes évanescents de Paul Valéry. Dans la Guilde des Poètes féeriques de Savoie, la critique est impossible. Elle se joint avec une joie incommensurable à ce premier festival de Nature & Poésie au domaine de Rovorée le 8 août. 

Que les autres poètes soient du reste aussi salués. A titre personnel, je connais surtout Christine Doucet, excellente amie, Jean-François Jabaudon, très bon camarade, Thierry Coulon, de même, et je découvrirai les autres. Renseignez-vous, et venez! 

Post-scriptum: une excellente personne me demande de signaler que l’association Rives en pages organise également cet événement. Association de lecteurs plus que de poètes mais magnifique association, qui m’a, par ailleurs, invité à effectuer une conférence devant des adultes et un spectacle de contes devant des enfants et qui, ayant fourni un défraiement agréable, me motive à lui rendre hommage et à marquer ma reconnaissance. D’autant plus qu’elle a aussi, pour la conférence, organisé la vente de plusieurs de mes livres. C’est, au bord savoisien du Léman, une association très importante!

Comments

Popular posts from this blog

Almanach des Pays de Savoie 2025: Patrick Modiano, Louis Dimier et quelques autres

Une élégie pour mes chats

Un mouvement esthétique révolutionnaire est né: la Guilde des Poètes féeriques de Savoie