Captain Savoy et ses Captain-Skis, VIII : la course au Soleil de l’Homme-Taureau
Pendant ce temps Captain Corsica et Captain Savoy s’étaient
lancés à la poursuite de Fomal l’Homme-Taureau, qui continuait à galoper devant
eux vers le Soleil – lequel, devenu énorme, semblait tout proche, presque à
portée des dents terribles du monstre : il s’apprêtait en effet à en
arracher une partie, à la mâcher sans pitié, et à boire son sang d’or, pour
devenir pareil à un dieu.
Pour aller plus vite sur cette voie glissante ils
chaussèrent tous deux leurs skis, et ceux-ci rapidement laissèrent derrière eux
des gerbes d’étincelles, en bondissant sur les couleurs de l’arc-en-ciel
constituées de flocons de joyaux. La poudre laissée à leur passage avait les
couleurs de l’arc, avait les couleurs de la piste qu’ils dévalaient, ou sur
laquelle magiquement ils montaient, n’ayant nul besoin de télésièges : car
leur volonté les poussait aussi bien vers le haut que vers le bas. On dit que
le poids des choses les attire toujours vers le bas ; mais il n’en est
point ainsi : cela ne vaut que pour l’eau et la terre. Quant au feu, par
exemple, il est attiré vers le haut, il tombe vers le Soleil. Or, Captain Savoy
et Captain Corsica n’étaient pas faits d’autant de terre et d’eau que le commun
des mortels : en eux le feu et l’air étaient plus puissants. Ils pouvaient
donc voler aisément, et se pousser vers le haut, en diminuant en eux la part de
terre, et en alourdissant la part de feu. Ils le pouvaient, par leur volonté :
ils pouvaient densifier leur corps selon les tâches qu’ils avaient à accomplir.
Et ainsi pouvaient-ils remonter l’arc-en-ciel à skis vers le Soleil comme s’ils
glissaient sur une pente enneigée. Mais ici la pente était enneigée de poudre
de pierres précieuses, ou plutôt de cet élément éthérique dont se constituent
les pierres précieuses dans la terre : leur essence qui, tombant sur la
terre, les fait germer dans la pierre. Car, vous le savez, les pierres
précieuses sont les fleurs de la pierre, et c’est pourquoi on les appelle
gemmes. Et c’est de cette façon que les deux protecteurs tutélaires, l’un de la
Savoie, l’autre de la Corse, mais néanmoins amis, bondissaient à la suite de l’Homme-Taureau vers le globe d’or du Soleil - lequel, s’approchant, devenait énorme. Et chaque coup de sabot de Fomal aussi
soulevait cette poudre d’arc-en-ciel en gerbes étincelantes. C’était une chose
magnifique à voir, même si un mortel ordinaire eût encore cru à une abominable
catastrophe cosmique, comme à chaque fois qu’il arrive dans le monde quelque
chose d’inhabituel dont il ne voie pas son profit immédiat.
Et sans tarder, ils commencèrent à gagner du terrain sur
Fomal, qui pourtant ouvrait ivre de joie déjà la bouche, pensant mordre le
Soleil d’or et en arracher une partie dans les instants qui allaient suivre, et
salivant déjà à cette pensée : corrompue, une bave noire coulait de sa
gueule sur son torse. Et il montrait ses dents, et, contrairement à celles des
taureaux que nous connaissons, elles étaient longues et pointues, comme celles
d’un carnassier : il y en avait même trois rangées. Car c’était un
monstre, et il avait muté, il avait pris d’autres espèces des traits
abominables. Il ressemblait à un de ces reptiles carnassiers dont nous avons
retrouvé les squelettes, et qui marchaient, paraît-il, sur deux jambes pour mieux
s’emparer de leurs proies et les dévorer. Il n’en avait pas moins des cornes et
un pelage noir. Et ces cornes déjà faisaient une ombre sur le Soleil - ou
plutôt elles y firent une ombre une fois de plus, mais alors Captain
Corsica et Captain Savoy la virent de tout près.
Mais il est temps, chers lecteurs, de laisser là cet
épisode, pour renvoyer au prochain, quant à cette incroyable aventure !
Comments
Post a Comment