Saint Maurice, saint Bernard de Menthon et le Black Racer: ou le mystère renouvelé de la Savoie à l'Amérique

Se peut-il que les Muses traversent l'Atlantique et le temps, et parlent aux artistes géniaux dans leurs rêves? On m'a fait remarquer que j'avais utilisé, pour illustrer mon récent billet sur Captain Savoy et ses Captain-Skis, une image que le grand auteur de comics Jack Kirby avait créée pour son Fourth World (chez D.C.): celle du Black Racer, un noir en armure qui passe dans les hauteurs chaussé de skis et tenant des bâtons, pour récolter les âmes des mourants: il vole dans les airs, et vient d'une dimension parallèle. 

Personne n'a jamais bien compris pourquoi Jack Kirby avait attribué des skis à cette figure mythologique, et sans doute lui-même aurait été bien incapable de l'expliquer. Mais j'ai trouvé une explication: le saint patron de la Savoie, Maurice, était noir, et, génie alpin, il circule forcément à skis. Il a précisément pour tâche de récolter les âmes des Savoyards et de les arracher aux ténèbres, luttant contre les démons qui veulent les emmener dans l'abîme. Il est le saint patron des guerriers et on le représente habituellement vêtu d'une armure d'or, c'est à dire de lumière. 

Peut-être qu'un jour Jack Kirby a vu passer l'information, que saint Maurice était le patron de la Savoie et qu'il était noir, et qu'elle est entrée dans son subconscient, que plus tard la figure est revenue dans son esprit pour survoler New York à skis. Il va sans dire que le saint patron de la Savoie veille sur New York, car tout gratte-ciel n'est rien d'autre qu'un hommage au mont-Blanc - une copie inconsciente -, de telle sorte qu'on peut bien dire que Manhattan n'est qu'un écho de la Savoie immortelle. Cela peut expliquer pourquoi moi, spécialiste de la Savoie, suis passionné par New York et les Etats-Unis, au point de leur avoir consacré un livre - d'ailleurs publié en Savoie: L'Ecureuil blanc du National Mall. J'ai senti partout, là-bas, la présence du Black Racer - qui n'est autre que saint Maurice.

On me dira qu'en Amérique on parle peu de la Savoie. Mais on y connaît le mont-Blanc, et le premier grand poète américain, Henry Wadsworth Longfellow, a consacré à la Savoie un poème, où il dit qu'elle est un pays merveilleux, où la vie et l'amour toujours triomphent. Mary W. Shelley a fait vivre le monstre de Frankenstein dans la Mer de Glace et qui ne connaît en Amérique cette figure, si importante pour l'esprit même du pays, puisqu'elle présente un homme artificiel qui cristallise en soi les forces élémentaires, et de vie? Le rêve américain est bien de créer un tel homme, est bien d'arracher aux ténèbres la flamme de vie et de conscience - de saisir, dans la matière, l'essence de l'animation autonome! Or, il est lié à la Savoie. On peut donc bien dire qu'au contraire la Savoie parraine toute l'Amérique.

Il y avait du reste en Savoie, comme ailleurs dans le monde catholique, des mystères, c'est à dire des pièces de théâtre représentant la vie des saints. On a retrouvé à Annecy celui de saint Bernard de Menthon, personnage local, né au bord du lac d'Annecy et devenu évêque d'Aoste, selon la légende. La frontière entre la France et l'Italie casse ce beau mythe, et il est dommage de la rendre si importante, de la brandir comme si elle était sacrée. L'histoire de saint Bernard de Menthon, qui la chevauche, l'est beaucoup plus.

Dans ce mystère, que j'ai lu, et qui contient des éléments de langue locale (le bouffon des intermèdes la parle), saint Bernard est un super-héros de son temps. Il saute sans blessure du haut de la tour dans laquelle son père, le comte de Menthon, l'a enfermé pour le contraindre à se marier: un ange lui donne le pouvoir de supporter la chute, et de se recevoir sur ses jambes à peine fléchies au choc. Un autre, ou le même, lui donne celui de vaincre le démon qui, au sommet du Grand-Saint-Bernard, habitait le temple là voué à Jupiter, et qui avait pris sa forme: le dieu est présenté comme un simple grand homme du passé abusivement divinisé. Mais le démon, lui, est bien réel, et, vrai super-héros, saint Bernard de Menthon l'enchaîne dans son étole magiquement déployée. Il le contraint à bâtir l'hospice qui existe toujours, pour accueillir les voyageurs, et voici! le temple de lui-même s'écroule. Les pierres en ont été utilisées pour l'hospice.

Puis Bernard devient évêque d'Aoste. Pour lui, la Suisse, l'Italie et la France n'étaient qu'un rêve, n'avaient pas de frontière et en cela il est légitimement le second patron de la Savoie, après saint Maurice et avant Captain Savoy. La Savoie est un rêve, un pays unissant les montagnes, dissolvant les frontières, une sorte de Jérusalem céleste avant l'heure, liant entre eux les cœurs purs sans souci de politique contraignante. De cette Savoie, saint Bernard fut en son temps le vrai roi. A sa mort, des démons n'en voulaient pas moins l'emmener en enfer. Naturellement, des anges, certainement conduits par saint Maurice, ont écarté ces monstres, leur donnant de bons coups d'épée étincelante à droite et à gauche, et ont recueilli cette âme pure si aimée de saint Maurice, de la sainte Vierge et de Jésus-Christ même. 

Puis ils l'ont emportée au ciel. Et saint Bernard est devenu le fils de saint Maurice, dans ces sphères supérieures, au sens le plus littéral qu'on puisse imaginer. Sur terre il était son disciple, au ciel il est devenu son fils, parce que, en réalité, avant sa naissance, saint Bernard était déjà le fils de saint Maurice: il n'était pas réellement le fils du comte de Menthon, comme on a cru. Saint Maurice avait pris sa place, s'était déguisé en lui, si la chose peut être à nouveau comprise de façon pure et sainte, alors que des plaisanteries de gens non initiés ont accablé Jupiter déguisé en Amphitryon pour engendrer Hercule. Le matérialisme a fait mal comprendre ce mystère.

Il faut savoir que saint Bernard a resurgi, s'est réincarné sous la forme d'un des disciples les plus vaillants de Captain Savoy, celui appelé le Nouvel Hanuman, et qui a effectivement l'apparence d'un roi singe magique, comme dans le Ramayana et le Pèlerinage vers l'Ouest, grands récits asiatiques. J'en donnerai la raison un autre jour, et livrerai les aventures du Nouvel Hanuman aussi un autre jour, qu'on me pardonne! Il n'est pas encore permis d'en dire plus, sur ce sujet.

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