Fondation du parti arpitaniste savoisien: mythes et légendes de Savoie. De l'origine du Sarvant, génie domestique et royal

Régions et Peuples solidaires est une fédération de partis régionalistes français. En Savoie, le parti Sabaudia Mouvement Région Savoie en est membre. Aux dernières élections européennes, j'étais présent sur une liste sous les couleurs de R&PS, et j'y représentais la Savoie. Divers problèmes sont alors apparus, sur lesquels je reviendrai – mais qui, en tout cas, m'ont amené à quitter Sabaudia MRS, et à annoncer la création d'un nouveau mouvement: le Parti Arpitaniste Savoisien.

II a pour vocation d’œuvrer en amont pour la reconnaissance de la Savoie en général, en commençant par sa littérature, sa langue, ses arts et sa culture spécifiques. Il ne postule pas une forme institutionnelle ou une autre, même si la nécessité d’une liberté culturelle d’une part, le besoin de reconnaître l’existence de la Savoie comme entité d’autre part, invitent au fédéralisme sur le modèle suisse (ou même américain) : la vie culturelle davantage affranchie de l’Etat implique qu’au moins pour les choses de l’esprit le libéralisme soit admis comme bénéfique. Cela n’infère pas du degré de solidarité qu’on doit aux fragiles.

L’allusion à l’arpitanisme vient de ce que le mouvement Arpitania a une dimension culturelle et spirituelle assumée : il entend faire respecter et reconnaître les spécificités de l’aire francophone alpine, tant en Italie qu’en France et en Suisse. Il y a d’ailleurs eu une unité politique autrefois entre la Savoie, le Val d’Aoste, la Bresse, le Bugey, le Pays de Gex, le Pays de Vaud, Genève et le Valais. Cela renvoie au royaume de Bourgogne, même s’il s’est aussi élargi vers Châlons-sur-Saône et Lyon : saint Gontran, roi mérovingien de Bourgogne, ami de saint Grégoire de Tours, aimait Châlons – où est quasiment né plus tard notre cher Lamartine, savoyard au fond par ses alliances chambériennes. C’est de cela que je parle : il y a un lien souterrain, obscur, entre différents lieux séparés par des frontières.

Le Parti Arpitaniste Savoisien a pour ambition d’avoir son hymne propre, et je propose La Chanson du Sarvant, de l’excellente Amélie Gex, poétesse savoyarde qui véritablement incarne le génie de Savoie – qui est en quelque sorte sa fée. Cette Chanson évoque l’esprit domestique caractéristique de la région : la Savoie, mais aussi le Bugey, le Pays de Vaud, le Valais francophone – bref, la Savoie telle qu’elle était au XIIIe siècle. Il y a forcément un lien. J’émets donc l’hypothèse que ce sarvant est un pénate amené de Saxe par celui que dans les chroniques de Savoie on a appelé Bérold, et qui est devenu l’esprit protecteur des comtes de Savoie puis de tout le peuple – divisé à l’infini dans les montagnes et les chalets.

Cela peut expliquer qu’on ait raconté que Bérold ait été un grand prince saxon et que rien d’historique ne le confirme : il s’agirait du génie de la lignée, ensuite fait prince dans l’esprit royaliste de la cour ducale – tendant à glorifier la dynastie au sein même de l’histoire, sans merveilleux. Ce qui conduit à des aberrations scientifiques, le merveilleux déformant l’histoire réelle, au lieu de s’y ajouter pour lui donner sens – comme c’est permis en poésie, et dans l’épopée. On avait, en d’autres termes, perdu le sens du pénate, du talisman porté par un homme ordinaire : la statuette du Sarvant. C’est mon hypothèse.

Un roman de Jacques Replat, auteur romantique savoyard, tendait à aller dans ce sens : Le Sanglier de la forêt de Lonnes, publié en 1840, racontait que, dans l’entourage du Comte Rouge, Amédée VII (celui qui a joint Nice à la Savoie), était un Nain magicien – ou qui en avait la réputation, et qui, à la mort du Comte Rouge, a complètement disparu. On l’avait trouvé nourrisson au bord du lac du Bourget et les moines d’Hautecombe l’avaient élevé. On disait qu’il commandait aux orages. Il servait de bouffon au Comte, mais aussi de conseiller privé. Ses bouffonneries, comme chez Shakespeare et Hugo, étaient des énigmes inspirées, des oracles en gestes. Bref, il pouvait aussi s’agir d’une manifestation du Sarvant, réputé petit, simple gnome ou lutin – même si Replat l’appelle Jehan, d’un nom simple donné par les moines. Sa taille pouvait même ne renvoyer qu’à la nature des Pénates, statuettes représentatives.

Naturellement, on le disait né du diable, comme Merlin l’enchanteur. Mais il avait été abandonné plus probablement pour ses difformités apparentes. Un vrai mystère, en somme, jouant à la fois sur le réel et le symbole. W. B. Yeats a écrit des nouvelles de ce genre, où on ne sait pas si une maison est l’entrée fantasmée du pays des fées ou simplement une cabane où a fantasmé sur des objets pouvant faire sens – une simple clef rouillée devenant soudain initiatique et prenant la teinte de l’or, par exemple !

Plus tard, Gustav Meyrink fut très fort, pour ce genre d’ambiguïtés vertigineuses et subtiles. Avec un ton plus léger, Jacques Replat était très bon aussi.

Bref, le Parti Arpitaniste Savoisien entend s’appuyer sur le signe du Sarvant – être populaire mais venu du fond des âges, et ayant probablement été lié aux princes dès l’origine des temps, ayant ensuite persisté au-delà de leur conversion au christianisme.

Certains ont dit que la lance et l’anneau de saint Maurice, vénérés des Burgondes, était en réalité ceux d’Odin ou Wotan, lui aussi vénéré des Burgondes avant leur conversion : ces talismans leur permettaient d’être assimilés au Peuple des Brumes – les Nibelungen. Il y a un Nain également dans l’histoire : nous le savons. Peut-être le même. Un Nain domestique, un génie de la maison royale qui tourne mal, qui crée des problèmes, une malédiction, reflet inversé du Lare de La Marmite de Plaute – lequel permet à l’héroïne de trouver le trésor qui la sauvera du déshonneur (tel que les anciens Romains le concevaient).

Evitons de diviniser tel ou tel peuple, mais sachons mesurer l’importance de leurs symboles – et la manière dont non seulement ils ont persisté dans la chrétienté, mais se sont diffusés ensuite dans le peuple, plus dépendant des symboles royaux qu’on croit. Souvent il a conservé des rites que l’Eglise a effacés, mais que les princes anciens avaient pratiqués – avant d’être soumis à la voie des évêques, par la nécessité de leur pouvoir. C’est en tout cas une autre hypothèse. On peut la méditer, c’est possible, c’est permis.


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