Le mystère de Ramiel: une histoire énigmatique (7). L'emprise de l'entité tentaculaire
(Je disais, la dernière fois, que commençant à fréquenter Ramiel de Saint-Génys je l’avais entendu me dire qu’il était l’héritier des vieux rois burgondes de Genève et que j’avais fait semblant de l’approuver, pour ne pas l’irriter. Se sentant encouragé, il me raconta alors une histoire incroyable.)
Ramiel
me regarda fixement dans les yeux, gardant un moment le silence, puis il
me tint à peu près ce discours (que dans les faits j’interrompis plusieurs
fois, mais dont je restituerai ici l’essentiel comme s’il m’avait été donné en
un flux continu) : « Sachez, M. Mogenet », me dit ce curieux hommes,
« sachez que j’ai reçu une confirmation rituelle et occulte de mon
ascendance. Je ne plaisante pas !
« Un
soir, alors que j’étais plongé dans l’observation méditative de la foule de ma
généalogie glorieuse, je vis soudain les lettres des noms se détacher du papier.
Elles s’élevaient, libres de toute feuille – mouches singulières, lueurs
dansantes, étincelles vivantes. Car voici qu’après s’être étrangement élevées
dans l’air elles formèrent une ronde, semblant s’adonner à quelque rituel. Puis
elles s’assemblèrent en mots qui se déroulèrent, à la façon d’une
procession !
« Et
je vis, oui je vis, à la source du flot ondoyant des lettres passantes, je vis
une bouche dans l’ombre, qui s’ouvrait silencieusement, et dont je ne voyais
pas le visage, ni même les yeux. Derrière, il me semblait, cependant, que deux
voiles de lumière ténue avaient une forme d’aile. S’agissait-il d’un ange ?
« Je
fus stupéfait. Je n’en revenais pas. Mais quelque chose en moi me disait que
c’était normal, attendu, propre à ma nature, on pourrait dire mon élection !
« Or,
que disaient ces mots assemblés dans l’air par la volonté d’une entité inconnue ?
Je n’en sais rien : ils étaient dans une langue mystérieuse, que je voyais
pour la première fois. Les signes mêmes ne ressemblaient que vaguement à notre
alphabet, ou à celui des Grecs, ou à celui des Hébreux : on reconnaissait
quelques lettres, mais elles semblaient toutes déformées, à la façon de runes. Elles
auraient également pu être des hiéroglyphes, ou des idéogrammes à la
chinoise, car ces pattes de mouche agitées paraissaient représenter quelque
chose, comme si elles avaient été l’essence géométrique de corps vivants, d’organismes
effectifs.
« Mais
elles m’effrayaient. Et si je n’avais pas eu le pressentiment que mon ancêtre
Mithridate me les envoyait depuis les profondeurs du passé grâce à ses pouvoirs
enchantés, je me serais levé et enfui en courant.
« Au-dessus
de la bouche d’ombre dont sortait le flot chatoyant des lettres presque
métalliques dans leur apparence, je vis paraître deux éclats luisants :
les yeux de l’entité s’ouvraient, et envoyaient autour d’eux de la lumière. Le regard
en était inquiétant, sévère. Je me mis la main devant les yeux, comme pour me
cacher : la peur me faisait involontairement trembler.
« Mais
soudain, une pensée germa dans ma tête, comme envoyée de cerveau à cerveau :
j’avais été choisi ! Je sentis un picotement dans ma main : baissant
les yeux, j’y vis une baguette de clarté, signe de ma royauté retrouvée. Je sus,
je sus que j’étais le vrai roi de Genève, le Burgonde immortel ! Et que
même les mérovingiens, par l’intermédiaire de sainte Clotilde, étaient issus de
moi.
« Et
puis soudain un éclair jaillit, un coup de tonnerre retentit dans ma maison, un
tremblement s’empara de mon appartement, faisant tinter les verres et les lustres,
et je me jetai à terre, épouvanté et prosterné. Quand finalement j’osai lever
les yeux, la vision avait disparu.
« Donc,
M. Mogenet, qu’en pensez-vous ? »
Je
ne savais que dire. Cela paraissait complètement fou.
Mais
bientôt mes cheveux se hérissèrent sur ma tête. Sans doute impressionné par son
récit étrange, je crus voir, au-dessus de son épaule, une forme monstrueuse,
faite d’ombre, mais constellée de petits éclats mouvants, têtes d’épingles
perdues dans un manteau noir. Et ce n’était point des ailes luisantes, que je
voyais au-dessus de lui ou de ses épaules, oh non, mais des tentacules
immondes, ténébreux et informes, partant de lui et enserrant le cou, le buste,
les bras, la taille assise de Ramiel de Saint-Génys !
Je
bondis de ma chaise. Quelle était cette horreur ?
« Qu’avez-vous ? »,
me demanda, innocent, mon interlocuteur. « Qu’avez-vous vu ?
Êtes-vous fou ? Que vous prend-il ? » Comme mon regard restait
fixé derrière lui, il se retourna, regarda, puis, se retournant à nouveau vers moi,
dit : « Il n’y a rien, ici, calmez-vous, M. Mogenet, rasseyez-vous,
je vous prie, continuons notre aimable et douce conversation. »
Je
regardai encore la forme noire, qui tendait à s’estomper, et fus encore plus
stupéfait de minces flux noirs monter, en ondoyant, de la tête, du cœur et du
ventre de Ramiel de Saint-Génys et s’enfouir dans l’obscurité du corps du
monstre.
Je
poussai un cri, et m’enfuis sans payer. Ramiel de Saint-Génys se leva, me cria
dessus : « Revenez ! Revenez ! Revenez, M. Mogenet, revenez
immédiatement ! Vous n’allez pas partir sans payer, sans payer votre
part ! » Mais, complètement mort de peur, je continuai à courir vers
ma voiture – pour m’y engouffrer et démarrer, et rentrer aussitôt en Savoie,
loin de cette cité où tant de mystères effroyables apparemment avaient lieu.
(A suivre.)
Comments
Post a Comment