Mariage en Suisse

 


Je suis sur la voie d’un divorce après un mariage qui n’a duré que quatorze mois, et n’ayant rien fait d’illégal durant cette période (rien qui eût pu justifier un procès), j’ai été étonné du mépris dans lequel on a pu tenir les cérémonies solennelles qui avaient créé cet état matrimonial. La cérémonie religieuse a été publiquement évoquée : son esprit est que les anges étaient censés être présents, et l’un d’eux se préposer à la tutelle du couple. Sans doute, on peut ne pas croire à ce monde des esprits, même si des livres avaient été lus au préalable, qui le mentionnent, et avaient été apparemment approuvés. Peut-être s’agissait-il davantage d’entrer dans une certaine communauté en faisant semblant d’y croire, et que cette communauté ayant été jugée finalement défaillante, il était inutile de s’attacher encore à des idées dont le caractère objectif n’était guère admis. C'est possible.

Cependant, il y a eu aussi une cérémonie civile, en Suisse, pleine de solennité et de beauté, et non dénuée de caractère sacré, en un sens : un conte a été lu, qui disait quelque chose, qui donnait un sens moral au monde. Et même si on peut croire que les règles morales sont comme des mécanismes inconnus, il faut bien admettre que la morale émane en général d’une conscience. Et les anges sont précisément la manière dont la culture biblique a exprimé la conscience du monde, dans ses déclinaisons diverses, mais harmonieuses. C’est ainsi que même quand les communautés sont apparemment antagonistes, les conceptions le sont moins : souvent, elles s’opposent parce qu’elles se lient à des esprits différents, des déclinaisons spécifiques de la conscience cosmique, non opposés entre eux mais sur lesquelles les êtres humains, eux, naïvement s'opposent. Il n’y avait pas, certes, d’antagonisme entre la mairie suisse où nous nous sommes mariés et la communauté religieuse où nous l’avons confirmé ensuite, car la Suisse est un pays extrêmement tolérant, ouvert, même si la cérémonie religieuse n’y suffit pas, comme elle suffit aux Etats-Unis, pour que l’administration considère le mariage comme valable. La Suisse a quelque chose d’intermédiaire qui est beau : pays européen, mais libre.

Ayant des amis en Suisse, j’ai choisi des témoins parmi eux, et ils l’ont été dans les deux cérémonies. Or, ils appartiennent à la communauté suisse en général, ils sont issus de bonnes familles, et il existait un engagement auprès d’eux – certes, pris au cours de la cérémonie religieuse : si un problème dans le couple surgissait, il fallait les consulter. Et ils ne l’ont pas été. On m’a demandé, à la place, de consulter un psychologue spécialisé dans le couple. Je l’ai fait. Mais pas en pensant que ce serait la dernière étape. J’ai eu plutôt honte car ces personnes, mes amis suisses, étaient liées à d’illustres personnalités de la Suisse. Il n’est pas vrai, par exemple, qu’elles n’auraient été liées qu’à la communauté religieuse à laquelle ma chère épouse semblait avoir renoncé. Elle avait changé de philosophie, pour ainsi dire, et préférait s’orienter vers des communautés différentes, peut-être plus aristocratiques, mais aussi exclusivement américaines, à ce que j’ai compris : sa nationalité première le lui permettait. Bien sûr je l’ai toujours accepté, mais je n’ai pas paru digne de devenir américain à mon tour. Peut-être parce que je ne voulais pas renoncer pour autant à l’Europe, car c’est ce qui m’étonne : le mépris dans lequel ont été tenues ces personnes liées à la Suisse d’une façon illustre et belle. Ces personnes non seulement étaient de bonne famille, mais dans leur vie ont été des créateurs, des artistes, et dans leur famille, précisément, s’en trouvaient d’autres, comme Charles-Albert et Alexandre Cingria, ou, par extension, Gonzague de Reynold - d’autres encore. Je sais bien que, en dehors de la Suisse, ces écrivains excellents ne sont pas toujours connus, mais ils étaient d’une grande noblesse, et se liaient aux anges au sens le plus traditionnel. Même lorsqu’ils sont calvinistes, les auteurs suisses sont souvent peu sectaires, et, tel Jean-Jacques Rousseau, restent intéressés par la piété catholique. C’est bien dans cette logique que je me suis fait parmi eux des amis.

Je n’ai pourtant jamais caché que, en partie savoyard, je demeurais un admirateur de François de Sales et Joseph de Maistre, si liés du reste à la Suisse – le premier parce qu’il était évêque de Genève, le second parce qu’il y a fui la Révolution et y a écrit ses premiers livres, inspirés et prophétiques : il fréquentait, à Coppet, madame de Staël, comme Chateaubriand et Wilhelm Schlegel, d’autres encore. La Suisse est un haut lieu du romantisme. Ce n’est pas un pays à mépriser. Je ne crois pas. Même les Anglais y ont séjourné et créé – Lord Byron avec son poème du Prisonnier de Chillon, Percy Shelley avec son poème du Mont-Blanc, Mary Shelley avec son Frankenstein. Ils y étaient ensemble, à Cologny, mais peu de temps auparavant William Beckford y avait composé en français son Vathek, et Jan Potocki son Manuscrit trouvé à Sarragosse. Bref, c’est un beau pays, et l’éloignement ne justifie pas qu’on le méprise, je pense.

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