Captain France contre les robots en plastique: une épopée. Episode 11: création d'une confrérie

(Dans le dernier épisode, nous racontions que le monstre Ernükhl à l'esprit d'abîme et sa créatrice Marie-Sol Toclun avait créé un premier supersoldat en plastique, un homme d'élite, futuriste et puissant.)

Ils en firent d’autres – et créèrent, comme prévu, une communauté, une confrérie, une société particulière attachée par des liens spécifiques, des rituels qui leur étaient réservés. Dans le flux social qui les unissait, ils sentaient un égrégore puissant, qui s’exprimait par la voix d’Ernückhl, à laquelle faisait écho celle de Marie-Sol. Les deux dirigeants de cette confrérie se choisirent des vêtements censés refléter leur dignité et l’esprit qui les habitait, et si lui trônait comme un roi antique, elle était à ses côtés comme une femme divinisée, hissée à un nouveau statut par son initiation, et l’intimité avec le puissant esprit des profondeurs que l’on nommait Ernükhl.

La solidarité était profonde, entre les membres de cette société, qui se pensait privilégiée. Ernükhl voyait s’élaborer cette secte avec plaisir : il voyait que son projet prenait corps. Désormais des parades militaires avaient lieu, dans un château qu’ils avaient acheté à Seyssel, surplombant le Rhône et donnant vue sur les Alpes de Haute-Savoie et la ville de Genève. Ils s’entraînaient dans ses soubassements, transformés en salle d’exercice, de tirs et de gymnastique. Et les cérémonies qu’ils effectuaient armés étaient effrayantes : ils devenaient un véritable bataillon opérationnel. Mais lorsque ces personnes exerçaient leur emploi profane, ils se comportaient toujours bien, étaient toujours polis et joyeux, investis dans leur travail, intéressés par tout ce qu’il impliquait, participant aux réunions syndicales et aux assemblées administratives, ils étaient de parfaits employés.

Bientôt on proposa à plusieurs d’entre eux de devenir conseillers municipaux dans les villes où ils résidaient ou travaillaient et naturellement Ernükhl et Marie-Sol les encourageaient à accepter. À Oyonnax, ils occupèrent rapidement plusieurs postes – et même s’affrontaient, pour faire bonne mesure, en se plaçant dans des camps opposés. C’était une stratégie voulue par Ernükhl, que Marie-Sol mit quelque temps à comprendre, mais qu’elle trouva géniale une fois qu’il fut parvenu à la lui expliquer.

On proposa à d’autres d’intégrer des cercles plus choisis, où allaient beaucoup de notables : le Rotary Club, le Lions’ Club, des loges maçonniques de différentes obédiences, des organisations paroissiales de différentes tendances : officiellement, ils se détestaient, s’invectivaient, écrivaient les uns contre les autres ; mais dans le château de Seyssel ils s’embrassaient, s’agenouillaient les uns devant les autres, se juraient fidélité secrète et absolue : leur plan était de conquérir le monde, et ils ne reculeraient devant rien pour cela. Ernükhl, en effet, méprisait les oppositions jugées factices des êtres humains ; pour lui il ne s’agissait que de théâtre, de comédie, et il entendait bien les manipuler tous et prendre secrètement le pouvoir. À la fin, le maire d’Oyonnax lui-même devint l’un d’eux. On le félicita, et on prévit de créer des conflits avec la sous-préfecture de Nantua sous différents prétextes, afin de déstabiliser les représentants du gouvernement central.

Le maire d’Oyonnax était si rusé, si avisé, fit si bien que la municipalité même de Nantua fut séduite, et passa sous l’autorité de la confrérie d’Ernukhl. On fit alors semblant de s’accorder avec le sous-préfet et le préfet, à Bourg-en-Bresse, tout en exerçant sur eux une subtile pression, qui amortissait les décisions prises à Paris, les injonctions venues de la capitale. L’arrondissement de Nantua prit une autonomie qu’on n’avait jamais vue jusque-là, et Ernükhl était aux commandes.

Un jour, l’ordre républicain, apparemment respecté par ces membres de la confrérie secrète, vola en éclat. Tout explosa, et Ernükhl fit le premier pas victorieux dans sa quête de puissance exotérique. La conquête du monde visible eut ses débuts, qui ne devaient jamais s’arrêter.

Voici comment cela advint. En apparence, le maire d’Oyonnax et le maire de Nantua se haïssaient : ils étaient d’un parti opposé, et s’accusaient mutuellement des pires maux. Le sous-préfet, étonné, tâchait de les apaiser, et ils faisaient semblant, en sa présence, de se réconcilier, ils se serraient la main, s’embrassaient, mais, dès qu’ils étaient revenus dans leur hôtel de ville, recommençaient à lancer des insultes publiques l’un contre l’autre. Tout était bon ; cela faisait partie d’un plan.

Un jour, sous prétexte d’avoir été gravement insulté par le maire de Nantua, un certain Jean-Paul Joubert, le maire d’Oyonnax, Roger Daquin, se rendit avec quelques hommes forts à Nantua, pour, disait-il, s’expliquer avec Popaul le Macaque. Ils recherchaient évidemment le conflit physique, la bagarre. Ils entrèrent dans la mairie de Nantua, et s’adressèrent directement au maire. Le ton monta, et un pugilat éclata dans toute la mairie. On se battait au poing ; des femmes participaient, des touffes de cheveux satinés étaient arrachées.

On appela le sous-préfet, Jacques Détemps, qui appela la gendarmerie et se rendit lui-même à la mairie. Ce fut la dernière fois qu’on les vit vivants, lui, le sous-préfet et les cinq gendarmes qui l’accompagnaient. Dès qu’ils furent entrés, les adversaires apparents rejetèrent leur voile de déguisement, firent tomber leurs manteaux, leurs masques, et firent apparaître leurs corps à demi en plastique munis d’armes intégrées, encore inconnues de l’humanité même moderne. Et les malheureux serviteurs de l’État furent massacrés en un éclair. De derrière un rideau, Ernükhl surgit, immense, touchant presque le plafond de sa tête, et l’horreur de cette apparition marqua les derniers de Jacques Détemps agonisant. Ernükhl éclata de rire, au moment de lui annoncer que la prochaine étape serait Paris ! Jacques Détemps alors rendit l’âme : une lame intégrée à un bras en plastique souple l’avait transpercé.

Se rhabillant, remettant leurs costumes, leurs manteaux et leurs cravates, les conspirateurs empruntèrent la voiture du sous-préfet pour se rendre dans son hôtel administratif et à la gendarmerie : car de nouveaux membres s’étaient revêtus de l’uniforme des cinq gendarmes tués. On les laissa entrer, mais on s’aperçut rapidement de la supercherie. Les cyborgs de plastique étaient si rapides et si rusés, cependant, qu’ils n’eurent pas même le temps de donner l’alerte : ils furent tous capturés et entreposés dans les caves profondes du château de Corbonod qu’Ernükhl avait fait acheter par son amante Marie-Sol. Ils y souffrirent mille morts, ne sachant s’ils seraient un jour libérés, se croyant en enfer. 

À la surface, des gens avaient pris leur place, se mettant sur le visage des masques leur ressemblant. Ils se rendaient même dans les foyers, et leurs familles ne les reconnaissaient pas, car Ernükhl leur avait enseigné le moyen d’envoûter les simples mortels : il s’agissait d’être moralement exemplaires, car on désire toujours que son père, sa femme, son mari, sa mère soient les personnes les plus parfaites du monde. Quelques étrangetés étaient attribuées à de la distraction, à de la perte de mémoire, à une meilleure condition physique, à une santé retrouvée, à tout ce qu’on ramène à de la banalité pour expliquer les miracles de la vie.

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