Captain France contre les robots de plastique: une épopée. Episode 8: la transformation du monstre

(Marie-Sol Toclun, ingénieure en plastique à Oyonnax, est rentrée depuis plusieurs jours de son excursion solitaire dans le Jura, et soudain elle se sent mal, elle a envie de vomir. Il se passe alors quelque chose d'extraordinaire.) 

Autour d’elle, comme sortant de son corps, elle crut voir une vapeur jaunâtre se répandre dans la pièce. Elle sentit ses cheveux se hérisser sur sa tête : cette fumée avait la même odeur et la même épaisseur que celle de son hideux rêve de la forêt.

Comme mue par une volonté propre, elle se dirigea vers le caisson noir, où était son monstre en plastique. Et voici que la vapeur s’inséra dans les trous permettant à cet hôte de respirer ! Elle commença à remplir le caisson, comme le montrait le hublot.

Effarée, Marie-Sol ouvrit tout grand la bouche – et un rot bruyant s’y fit entendre. Une bulle jaune sortit de son gosier, et se tint dans les airs, suspendue au-dessus du sol.

L’ingénieure en matière plastique ressentit une terrible douleur au dos. Elle se plia en deux, tomba à genoux. Tout autour d’elle s’assombrissait et se brouillait, à la façon d’un horrible cauchemar.

Elle releva toutefois les yeux - regardant par en dessous la bulle se diriger, comme mue à son tour par une volonté, vers le caisson de sa création.

Parvenue devant les trous cette balle molle s’y glissa à son tour en s’étirant, devenant oblongue – et l’intérieur du caisson fut soudain rempli d’une épaisse fumée jaune.

Marie-Sol péniblement se releva, se dirigeant vers le hublot qui lui permettait de regarder l’intérieur du caisson, et elle n’y vit plus du tout le visage pourtant tout proche de son monstre : une couche humide et grasse de vapeur jaune obstruait sa vue. Épouvantée elle cria, se collant au couvercle et scrutant par le hublot ce que pouvait lui montrer la fumée éventuellement dissipée.

Effectivement, celle-ci devint moins épaisse, et des fragments du visage de l’être qu’elle avait créé lui apparaissaient par phases : un vent, à l’intérieur du caisson, agitait mollement cette vapeur.

Or, Marie-Sol fut désespérée, car, malgré l’œil vitreux indiquant la bêtise, le monstre portait clairement les marques d’une atroce souffrance, et d’un désarroi total. Elle hurla. Quelle aide pourrait bien lui survenir, en cette heure fatale ?

Se relevant avec effort en s’appuyant sur ses bras, elle tâcha ensuite de soulever le couvercle, mais c’était impossible – soit qu’elle eût perdu toutes ses forces au cours de ces faits, soit qu’une entité mystérieuse eût trouvé le moyen de le verrouiller, de le bloquer !

Elle se cassa presque les ongles à tirer sur le couvercle qui refusait de bouger. Et elle entendit son monstre gémir comme s’il était torturé. Elle regarda à nouveau par le hublot : la fumée s’était en partie dissipée, et elle pouvait voir le visage de sa création distinctement. Mais, à sa plus grande horreur, elle le voyait maintenant secoué de spasmes et se mouvoir rapidement de gauche à droite et de droite à gauche, comme s’il s’efforçait de dégager de lui une souffrance terrible. Et il poussait des cris à chaque mouvement vif de sa tête agitée. Marie-Sol sentit des larmes couler sur son visage désespéré.

Soudain, la tête en plastique de sa vivante création s’immobilisa. Elle ferma les yeux, comme apaisée. Et Marie-Sol sentit la pression du couvercle du caisson se relâcher. Elle l’ouvrit, et la fumée sortie de son corps et la bulle jaune sortie de son gosier avaient complètement disparu.

Il lui semblait cependant déceler une vague teinte jaunâtre répandue sur le corps transparent, en plastique, de l’être à présent apaisé, qui doucement respirait comme endormi.

Elle le toucha, et il était chaud, tendre, plein de vie. Elle le caressa un peu, car elle l’avait fait parfait, et il était beau. Elle avait du plaisir, à passer ainsi la main sur son corps sculptural – sur les muscles pectoraux épais, et les bras musclés accrochés aux épaules larges. Et soudain, sans même qu’elle vît remuer son monstre, elle sentit son poignet saisi : la main vive comme l’éclair de l’être en plastique l’enserrait dans une poigne incroyable. Marie-Sol ouvrit grands les yeux… Et l’instant d’après, le monstre fit de même !

Mais ce n’était plus le regard perdu et même vide de l’enfant artificiel qu’elle avait produit, oh non ! Désormais, dans l’œil jauni du monstre, était une intelligence profonde et cruelle, une ruse mauvaise et haineuse que Marie-Sol n’aurait su définir, et qui la terrifiait. Et voici que le monstre souplement se leva, pliant d’abord le buste puis semblant comme bondir, de sa propre force incroyable, sur ses jambes et ses pieds : la dominant, il tenait toujours la femme par le poignet, la soulevant : elle cria, apeurée. Et voici qu’il la souleva, et rapprocha son visage du sien, devenu intelligent, mais cruel et sadique. Car elle décela dans ses yeux, effarée, une sagesse terrifiante qui reflétait des abîmes, si une telle chose est possible !

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