Captain Savoy et ses Captain-Skis, X : le combat des héros
Avez-vous jamais regardé, par les vitres d’un bathyscaphe, le
fond d’une mer sombre et abyssale – où se meuvent des êtres hideux et secrets,
ne voyant jamais la lumière, énormes et dangereux, menaçants et
terribles ? Avez-vous jamais vu, en rêve, le fond d’une eau transparente, dans
un aquarium, peuplé de monstres dotés de carapaces, de pinces, de tentacules, d’antennes,
et vous regardant de leurs yeux noirs et cruels ? L’abîme cosmique que
Captain Savoy contemplait à présent était pareil, mais en pire !
Des êtres visqueux et immenses, se glissant comme des poulpes
parmi les étoiles, faisaient fleurir leurs tentacules buccaux, à l’infini
étirés dans ce gouffre du mal – ou leurs bras hérissés de griffes et de cornes
sanglantes, selon leur nature. Leurs effroyables visages respiraient la
malignité et la cruauté – et il suffisait, pour un homme ordinaire, de les
apercevoir brièvement pour perdre à jamais la raison !
Cependant, au cours de son initiation, Captain Savoy avait vu,
avait vécu pire ; il avait subi mille cauchemars, souffert mille morts.
Était passé par des cercles qui, rangés en spirale, étaient descendus plus bas
encore que sa vision d’à présent : on ne saurait redire ici la moindre
chose qu’il aperçut alors, ou souffrit durant son errance dans les immenses ténèbres.
Il respira, chassa le souvenir de ces horribles moments de
sa conscience, et regarda vers Captain Corsica et Fomal, qui se tenaient à
trente mètres environ, l’un en face de l’autre devant l’énorme globe d’or du
Soleil que Fomal entreprenait de croquer, pour s’emparer de son sang et de sa
force et devenir le maître du monde.
Captain Corsica avait épaulé son fusil légendaire, qui ressemblant
de loin à un bâton, et qu’il nourrissait volontiers de feu cosmique : les
rayons des étoiles s’y concentraient, pour former de terribles munitions. On
sentait la crosse vibrer, alors qu’il la maintenait contre son épaule, et
contenir un feu qui laissait courir le long du bois sacré des étincelles.
Les lettres d’or gravées sur le canon, devise d’une langue
et d’une écriture inconnues, spécifiques à la maison de Cyrnos son père, brièvement
s’allumèrent, alors que le fusil sentait venir la rafale envoyée par son
maître. Car il était vivant, il avait une vie propre, contrairement aux simples
fusils des mortels : Cyrnos connaissait la technologie qui plaçait dans
les objets la substance de vie, et qui n’émane pas de la complexité de la
matière, mais de la subtilité du processus.
Sans prévenir Captain Corsica tira, faisant jaillir de son
fusil divin un feu cristallisé en balle oblongue, laquelle se précipita en
hurlant vers l’Homme-Taureau, Fomal ! Le monstre reçut le projectile
étincelant au flanc, et voici que pour la première fois on l’entendit rugir :
son haubert s’était ouvert, et son cuir, et un sang noir perla, puis dégoulina à
gros bouillons de la plaie ouverte. Si puissant était le fusil de Captain
Corsica, confié à lui par les dieux !
L’Homme-Taureau en avait vu d’autres : il était un dur
à cuire. Levant la tête, puis la baissant, il se concentra, et un flux
d’énergie monta des profondeurs dans lesquelles avait témérairement regardé
Captain Savoy : elles grimpèrent le long de ses membres, se concentrèrent
dans sa tête puis ses énormes cornes, lesquelles étincelèrent et crépitèrent.
Deux flux d’éclairs s’unirent au-dessus du front gemmé de Fomal, et du joyau
violet qui ornait ce front partit un fil de lumière, qui rencontra les éclairs au-dessus
assemblés.
Dès lors, un flux de fulguration cosmique s’élança vers
Captain Corsica, qui eut à peine le temps de faire dans l’air un signe de
protection : un écran d’énergie à ce signe apparut, qui ralentit, mais ne
brisa pas le terrible flux parti des cornes enchantées de l’Homme-Taureau
immortel. Et, à son tour, Captain Corsica fut touché, et soulevé de terre, et
abattu violemment sur le pont d’arc-en-ciel, qui en tremblant s’en
fissura !
Mais il est temps, dignes lecteurs, de laisser là cet épisode,
pour renvoyer au prochain, quant à cette étrange histoire.
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