Sculptures: un art nouveau. La tête animale de Captain Savoy

Je me suis inscrit dans l'atelier de James Lang, sculpteur de New York qui vit et travaille à Ambilly, aux portes de Genève: j'aime son art, plein de fantaisie et d'allusions énigmatiques. Et j'ai toujours voulu faire de la sculpture. Mais cela demande de s'investir dans l'organisation matérielle, et comme j'ai choisi surtout la littérature, je n'en ai jamais eu la disposition d'esprit. Je projetais de la mettre en place, mais le remettais à plus tard. La peinture même me semblait matériellement plus accessible.

Il faut dire que mes parents architectes avaient déjà tout le matériel nécessaire: quand j'étais petit, je dessinais abondamment, puis j'ai peint. Je m'y remettrai sans doute un jour mais la sculpture m'a toujours tenté, à cause des volumes: j'ai, finalement, ce côté physique, et matériel, de vouloir créer des formes dans la glaise depuis ma pensée. Ensuite je la souffle dedans, et bien sûr elle s'anime!

Cependant, mes parents n'avaient aucun lien avec la sculpture. Leurs chantiers ne m'intéressaient pas beaucoup, car la dimension artistique, dans la maçonnerie, me paraît trop faible. Naturellement, s'il faut s'y mettre (cela relève parfois de la nécessité), je peux le faire. Mais il est vrai que, passionné par l'art et la pensée imaginative, ma priorité va à l'écriture. Mais, maintenant, aussi la sculpture. 

Ceux qui disent que je ne peux pas manier la matière sont des envieux. La matière de la langue, je la manie. Et j'aime manier la terre glaise, les matériaux lourds. Si j'avais, pour fonder un foyer, à créer, à entretenir ou à restaurer une maison, je le ferais volontiers. Les calomniateurs qui disent le contraire sont surtout jaloux de ce qu'ils sentent ce que je pourrais sous ce rapport réaliser.

Mais, quoi qu'il en soit, il n'est pas faux que j'aime surtout voir apparaître des formes artistiques sous mes doigts, et que les impératifs techniques leur sont pour moi plutôt subordonnés. Ils s'acquièrent: il suffit de persister, d'être volontaire, et je ne pense pas que ce soit une qualité qui me manque. Même pour l'écriture, il en est ainsi.

Quand j'étais petit, la dimension technique de la langue m'ennuyait: je ne connaissais pas la grammaire. Je connaissais l'orthographe grâce à ma mémoire visuelle, mais je n'avais pas de connaissance analytique de la langue. Cependant, comme j'étais motivé, que je voulais faire de l'écriture ma vie, j'ai commencé à étudier la grammaire à l'université, c'est même pour cela que je me suis inscrit en lettres.

Or, je suis devenu, en quelques années, un expert. J'ai passé l'agrégation en 1998, et, certes, l'ai ratée, mais ai été admissible grâce aux épreuves dites de langue - pour l'étude de laquelle je m'étais inscrit en littérature: en principe, je ne voulais pas vraiment m'adonner au genre, trop intellectuel, trop peu artistique, de la dissertation. 

Quelques années plus tard, repassant cette même agrégation, j'ai cette fois dû apprendre l'art de la dissertation - très technique, essentiellement de composition. Ma femme de l'époque, l'excellente docteure en anthropologie Maria Ann Noland, m'y a bien aidé: les essais critiques ont une dimension sociale qu'elle maîtrisait parfaitement. Il faut entrer dans la logique d'un sujet et d'un jury. Comme, par ailleurs, ma dissertation de littérature portait sur les contes de Charles Perrault et Mme d'Aulnoy et que je suis passionné par le merveilleux, j'étais au point sur le fond - et, sur la forme, je m'en suis bien sorti: j'ai eu une excellente note. 

A l'épreuve de grammaire, j'ai eu la meilleure de ma session. 

Je dois ajouter que je dois beaucoup à Maria Noland pour un autre art à la fois très social et très technique: celui de parler anglais. Comme il ne s'agit pas d'y chanter et d'y réciter de la poésie toute la journée, je doutais que j'y parviendrais jamais. Mais, de la même façon que précédemment, j'y suis devenu très bon. 

J'ai en fait de bonnes capacités techniques - surtout lorsque les mots sont impliqués. Car, tout de même, articuler les mots est mettre son esprit dans le souffle et le son et y créer des formes, cela a un fond artistique: c'est devenu mécanique, mais créer une langue a dû être, à l'origine des temps, un art.

Et me voilà, grâce à un autre Américain (car ma seconde épouse était américaine), devenu sculpteur en herbe, et on me dit que mes premiers essais sont réussis, en particulier celui qui est complètement achevé (deux autres sont en cours d'achèvement), une vache rouge et tricorne qui est le visage de Captain Savoy quand il apparaît sous sa forme animale, ce qui arrive souvent. On peut la voir ci-dessus, en illustration principale.

James Lang m'a donné d'excellents conseils, m'a prêté son matériel, sans lui je n'aurais pas réalisé cette œuvre. Il en a d'ailleurs compris le sens, parlant de tête mythologique. Certains l'ont demandé d'un point de vue symbolique. Mais cela n'est pas à essayer de décrire. Le point de vue légitime est esthétique: il s'agit d'une tête mythologique. C'est ce que j'ai toujours voulu sculpter. 

Et mon rêve serait maintenant d'honorer une commande officielle, par exemple pour une commune savoyarde, que je réaliserais avec James Lang, car de même que je peux aider n'importe qui pour la grammaire, l'orthographe, la composition narrative, la versification poétique ou les figures de style, de même, j'aurai encore besoin, pour pas mal de temps je pense, d'un guide technique pour mes idées de formes en trois dimensions.

En tout cas j'adore la sculpture, et passer un temps infini à sculpter des détails, et à sentir naître sous mes mains ou le couteau la forme idéale que je ressens comme telle, celle qui est propre à accueillir le souffle divin, comme le croyaient les anciens: les Grecs antiques pensaient que si la forme était assez belle les dieux avaient envie d'y venir, et c'est pourquoi ils en plaçaient dans leurs temples. Ce n'était pas pour les admirer en public, car ils mettaient un rideau devant, pour éviter que le mystère en soit rabaissé. 

J'ai mis ma vache tricorne au fond de mon petit salon, à l'arrière de ma maison, et elle veille sur l'appartement, de son regard perçant le voile de l'infini. Cela me suffit, je sais qu'elle est là. Car c'est Captain Savoy sous forme de vache tricorne, et elle garde ma maison et toute la vallée! Je lui fais des offrandes sous forme de regards et de pensées tendres, et elle en vibre. Car, comme disait Owen Barfield, l'art à sa cime peut avoir une dimension cultuelle: c'est possible. 

Mais cela doit se faire naturellement, à partir des sentiments, du cœur, sans institution, pour moi seul. Je ne le demanderais même pas forcément à une épouse, car certaines personnes qui ont vu cette vache l'ont dite effrayante. Je veux bien, du coup, la mettre derrière un rideau. Paradoxalement, cela la rend plus vivante encore, puisqu'on sait qu'elle est là. Les anges, dans le temple de Salomon, étaient aussi derrière un rideau, et on disait que selon les oracles à prononcer, ils bougeaient! Mais c'était le fruit d'une seconde vue. Puisqu'ils restaient derrière le rideau. 

Mystère qui ne sera pas facilement compris. Ceux qui croient à une plaisanterie le peuvent: c'est sans conséquence. Les autres, peut-être, saisiront.

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