Une élégie pour mes chats
J'ai vécu en couple à Toulouse, et nous avions pris deux chats siamois, que nous chérissions. Mais ma chère épouse est partie avec les deux dans son pays natal, les Etats-Unis, malgré mon souhait d'en garder un, le premier-né, que j'avais séduit dans le refuge où nous l'avions trouvé. Dès que je l'ai pris il s'est blotti contre moi, il semblait m'aimer, il y avait entre nous une complicité de mâle, je pense, une affinité de caractère. J'ai ensuite passé beaucoup de temps à l'éduquer, car il était batailleur, il aimait attaquer, et était apparemment mécontent d'avoir été sorti des bois pyrénéens pour être installé dans un appartement.
Nous avons pris ensuite un autre chat siamois, peureux et craintif, et qui, au contraire, tendait à me fuir, à avoir peur de ma voix mâle et de ma taille importante, qui se réfugiait dans la douceur de ma chère et tendre épouse. Je m'effaçais, souvent, pour l'apaiser, laissant faire celle-ci lorsqu'il fallait l'installer dans un panier. Je m'éloignais, sortais de l'appartement, quand il le fallait. Je pense avoir été globalement un bon éducateur, non parce que j'étais bien éduqué moi-même, mais parce que j'avais, je crois, conscience d'une chose importante, il faut agir différemment avec chaque individu, s'adapter à son caractère.
Aucun des deux chats ne m'a été laissé, je n'ai rien pu faire, ils sont partis pendant que j'étais au travail et légalement: je n'y avais pas fait attention, mais ils étaient tous les deux au nom de leur maîtresse. Si elle les aimait, soit, elle s'occupait d'ailleurs bien d'eux, de leur bien-être matériel. Mais je les ai quand même regrettés, j'ai longtemps été triste de ne plus les voir, quand je rentrais à la maison naturellement dans les premiers temps je m'attendais spontanément à revoir mon épouse, mais il est possible que le réflexe de m'attendre à revoir les chats ait duré encore plus longtemps: je n'en sais rien.
Au moment de retourner en Haute-Savoie, comme je l'ai finalement décidé, j'ai dû vendre les affaires de ces chats, et cela m'a fait de la peine, je me souvenais d'eux. Et le faisais sans mélange, sans souvenir de moments pénibles: on comprend ce que je veux dire. Un jour, j'ai éprouvé le désir de composer à leur sujet une élégie. Ce genre classique chante les absents, morts ou partis, et est fondé, rythmiquement, sur des distiques aux vers inégaux. Pour parler plus clairement au profane: les vers sont rangés par deux, et le second est plus court que le premier, quoique toujours de la même façon. Il en est ainsi parce que si la régularité épique impose une voix héroïque au monde, l'élégie est dans le sentiment d'impuissance, d'un souffle qui se raccourcit à chaque envolée, à chaque tentative de lui faire rejoindre l'objet absent, parti, défunt! En vain il se porte vers lui: il ne peut plus être entendu.
Peut-être qu'il y avait une intention magique, à l'origine: qu'il s'agissait d'incantations pour faire revenir les morts. Ou les enfuis. Je ne veux pas faire peur à mon épouse, bien sûr, je ne pense pas pouvoir contrôler les éléments, les souffles, les vents, les sentiments des chats à distance, même en m'adressant aux esprits! On faisait également revenir l'image, consolatrice. Mais enfin, je pense qu'il y avait un appel à se revoir dans les temps infinis, dans l'autre monde, ou dans une vie ultérieure: on s'adressait aussi aux dieux de la destinée. Cependant il est ridicule que cette introduction soit si longue alors que le poème est si court, même s'il m'a peut-être pris plus de temps à composer! Le voici donc:
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