Captain Savoy et ses Captain-Skis, V : la réconciliation des héros
Captain Corsica fut si surpris de la dispersion et de la
disparition des esprits qu’il avait invoqués qu’il trébucha, et tomba :
une gerbe de brume en flocons jaillit autour de son corps, qui roulait. Et
Captain Savoy éclatant de rire le dépassa tranquillement, telle une tortue continuant
son train, pendant que le lièvre avec qui elle courait faisait des cercles au
hasard dans la campagne.
En maugréant Captain Corsica se releva et reprit la course,
comprenant enfin ce qui venait de se passer : au loin il voyait ses
esprits familiers, tapis au fond du ciel, n’osant revenir, et se demandant
s’ils devaient retourner en Corse sans leur maître ou rester à l’attendre,
prudemment au-dessus du lac du Bourget, où ils se tenaient alors : car l’air,
plus chaud dans cette vallée d’Aix, leur semblait plus adapté à leur nature.
Captain Corsica jura, et poussa sur les bâtons pour rejoindre son concurrent.
Sa colère était assez grande pour lui donner du feu :
ses membres vibraient d’énergie, se yeux lançaient des éclairs, des flammes se distinguaient
autour de son crâne. Aussi Captain Savoy, qui d’ailleurs ne se pressait pas,
préférant ne pas humilier son adversaire, fut peu à peu rejoint. En quelque
sorte, il se laissa rejoindre. Et quand l’autre fut à sa hauteur, le génie de l’immortelle
Savoie se tourna vers celui de l’éblouissante Corse, et lui dit :
« Ami, ami ! Ne pourrions-nous dire que nous sommes égaux en force et
à skis ? J’aimerais à présent mettre fin à cette course joyeuse mais
vaine, et que la trop longue durée pourrait rendre lassante !
– D’accord, répondit, après avoir réfléchi, Captain Corsica. Arrêtons-nous un peu, et conversons. »
Et ainsi firent-ils. Ils s’assirent sur une butte de nuée, et soufflèrent. Ils
se mirent à converser de choses et d’autres – des gens qu’ils connaissaient, de
leurs pays respectifs, et restituer leurs échanges serait long et fastidieux,
car les héros aussi peuvent sans esprit de sérieux bavarder librement. Ils
parsemaient leurs paroles de plaisanteries douces, et riaient, et les elfes des
parages les entendaient, charmés.
Les hommes aussi dans la vallée se demandaient qui riait
dans les airs, dans les nuages bloquant au-dessus d’eux la vue du ciel !
Mais ils n’en surent jamais rien, du moins avant que je ne le leur dise. Les
deux amis nouveaux riaient sous l’éclat accru des étoiles, semblant toutes
proches à leurs yeux d’initiés – et les regardant, les écoutant, les saluant. La
Lune aussi en son croissant semblait palpiter et se mouvoir comme si elle était
dans la même pièce qu’eux. Plusieurs fois d’un œil complice ils l’observèrent –
car ils savaient ce qu’il en était, en réalité.
Mais le matin vint, car ils conversèrent longtemps – et
aussi, le temps pour le peuple des Génies et des Captains n’est pas le même que
le temps n’est pour les mortels : une heure pour eux en est bien sept,
pour nous.
Et ils tournèrent la tête vers l’est et regardèrent la
lumière qui grandissait derrière le mont-Blanc, et les autres montagnes.
Or, soudain, cette lumière s’arrêta : une ombre énorme se tint devant elle, empêchant les deux hommes d’être éclairés. Ils en furent étonnés. Et s’aperçurent que cette ombre avait deux cornes immenses, et qu’il s’agissait de la tête d’un taureau, que Captain Savoy reconnut aussitôt : il s’agissait de Fomal, maître du Môle au-dessus de Bonneville et du lac de Ville-en-Sallaz. Il était sorti de son antre, et voici qu’il s’apprêtait à mordre le Soleil pour tenter de le dévorer - ou tout du moins d'en croquer des parties.
Mais il est temps de laisser là cet épisode épique, pour
renvoyer au prochain, quant à la suite de cette apocalyptique histoire.
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