Elections européennes : le bilan d'une candidature controversée. De la lutte secrète entre François de Sales et René Descartes
Elle était avant tout celle du Parti des Radicaux de Gauche. S'y était allié Régions & Peuples solidaires, fédération de partis régionalistes français dont je dépendais : je représentais la Savoie, et le président de Sabaudia Mouvement Région Savoie avait donné mon nom aux responsables.
Quoiqu’avec mes propres arguments, j’ai participé loyalement
à la campagne électorale, rendant la liste visible le plus possible, et
relayant le plus possible les arguments des acteurs de la liste, notamment
quand ils défendaient la « république des territoires » : belle
expression. Je suis d’accord avec ce qu’elle implique.
Le président du parti dominant, Guillaume Lacroix, étant
bressan et se réclamant de sa Bresse chérie, je me suis plu à rappeler les
liens que cette région avait entretenus autrefois avec la Savoie – dont elle
faisait partie : elle a été arrachée au duc de Savoie par la France en
1601. Les poètes bressans du XVIe siècle étaient considérés comme
savoisiens, et je les ai cités dans mon livre La Littérature du duché de
Savoie. En particulier, Bernardin Uchard
fut un poète en langue locale particulièrement doué, auteur d’une sorte
d’épopée sur Lesdiguières. Mais cela n’a pas particulièrement touché Guillaume
Lacroix. Que je cite Gabriel Vicaire, poète bressan romantique, ne l’a pas
convaincu non plus : je l’aime pourtant assez, il intégrait les fées du
folklore local à ses vers.
Passons. Ce qui importe davantage est que, sur la liste
WhatsApp du PRG, un membre inconnu, écrivant sous pseudonyme, m’a demandé si
j’étais bien, comme il le croyait, l’auteur d’un poème publié sur la sainte
Vierge et le seuil mystique qu’elle représentait, avec son enfant dans les bras
et l’arche dorée sous laquelle dans les églises on la trouve souvent. Je n’ai pas répondu,
mais la question m’a passablement étonné, car elle n’avait rien à voir avec un quelconque projet politique. Par la suite, je n’ai pas pu m’empêcher de rappeler que la république
des territoires ne pouvait pas effacer les clochers. D’ailleurs la loi de 1905
stipule qu’en cas d’alarme les cloches peuvent être utilisées par le gouvernement : et on s’alarmait, à juste titre, des résultats à venir du
Rassemblement national !
L'idée n’a guère plu : le
ton montait… Quelle république des territoires peut imposer la tour Eiffel
comme seul symbole possible ? demandais-je encore. Il y a là une
contradiction.
Le coup de grâce fut donné quand un ennemi personnel, grand défenseur du rationalisme, m’a accusé d’être un odieux mystique échevelé, et a sommé Guillaume Lacroix de m’expulser de sa liste « à grands coups de pied au derrière ». Le rationalisme militant a de ces douceurs. Guillaume Lacroix a répondu publiquement qu’il allait voir ce qui était possible, et qu’il ne pouvait pas laisser passer une chose pareille. Je ne bougeais pas, attendant, ne changeant rien à ma communication.
Le président de Sabaudia, mis au courant, me conseille pourtant ’écrire directement à Guillaume Lacroix. Je refuse, puis, sous l’insistance de son autorité, obtempère. Je ne parviens pas à convaincre mon interlocuteur de ma bonne foi et il finit par me demander d’arrêter de soutenir publiquement sa liste. Je m’exécute, les responsables de R&PS s’en aperçoivent, me téléphonent, me disent qu’ils ont reçu une remarque de Guillaume Lacroix, qu'ils lui ont répondu que je n’étais mêlé à rien d’illégal, et qu’il n’y avait pas lieu de faire quoi que ce fût. Mais le mal était fait. J’ai alors demandé un soutien public au président de Sabaudia, et il a refusé. J’ai donc décidé de quitter son mouvement. J'ai dit la dernière fois ce par quoi je tâcherai de le remplacer.
Il apparaît en tout cas que le maccarthysme en France existe, à l'encontre de ce qui ne se soumet pas au dogme rationaliste : si on fait des poèmes sur la sainte Vierge ou sur les êtres élémentaires que le folklore mais aussi Victor Hugo, Rudolf Steiner et quelques autres placent dans la nature, on est réellement susceptible d'être écarté des élections, mis an ban. Il n'y a pas de loi qui l'explicite puisqu'officiellement on a le droit de croire. Mais dès qu'on le cite les gardiens de la révolution rationaliste ajoutent : Mais surtout, de ne pas croire !
Oui, je ne crois pas que le principe mécanique puisse tout expliquer dans la nature. Non, je ne crois pas qu'il soit impossible de savoir quelque chose des mystères de l'existence, de la vie et du monde. Mais ai-je le droit de croire que la méthode de François de Sales, selon laquelle l'esprit de la nature peut être analogiquement saisi, a ses vertus, je ne sais pas. Je pense que c'est difficile, et d'ailleurs, même les régionalistes savoyards de Sabaudia y croient peu.
A ce compte-là, que ne laissent-ils la méthode de Descartes s'imposer même dans les vallées de Savoie au détriment de tout ce qui a pu s'y faire et penser autrefois ! Ce n'est pas bien cohérent. Lutter contre le centralisme tout en concédant que l'esprit de la tour Eiffel est le seul valable n'a aucun sens.
Dans mon livre Portes de la Savoie occulte, j’ai montré que le rattachement de la Savoie à la France avait placé dans le Temple René Descartes à la place de François de Sales. Je n’ai pas dit que c’était forcément mauvais, mais qu'il fallait en prendre conscience, et être cohérent ensuite dans son action. Descartes était certainement un grand homme. D’ailleurs, il admettait que la poésie trouvait aussi des vérités, par une sorte de grâce qu'il n’expliquait pas, et dont le chemin était différent de sa méthode rationaliste, suivie désormais par la communauté scientifique. Or, quelle méthode suit la poésie ? Celle de François de Sales, fondée sur l’imagination analogique, les similitudes et comparaisons évoquées par le saint évêque de Genève. Il s’agit donc de proposer plusieurs voies possibles, selon la sensibilité de chacun. Ou les facultés de chacun. Le plus haut génie a certainement les qualités des deux méthodes. Paul Valéry, par exemple, même si en lui Descartes était plus fort. En tout cas, la Savoie a encore quelque chose à dire, et ne peut pas être étouffée. Et ce n’est pas d’appeler Savoie des banalités présentes partout ou un hommage local rendu à la tour Eiffel qui sauvera l’intéressante voie de François de Sales, dont même Descartes admettait l'intérêt, de l’oubli. Il faut se rappeler qu'en France elle est liée à la tradition du conte de fées, de Charles Perrault à Jacques Cazotte, si importante pour le romantisme. Nous en avons encore besoin.
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