Histoire merveilleuse du Déluge de Viuz en Sallaz: un spin-off de l'histoire mystérieuse de Ramiel de Saint-Génys

Après avoir lu l'épisode VIII de l'histoire mystérieuse de Ramiel de Saint-Génys, poète maudit de Genève, un lecteur assidu de ce blog (cousin éloigné de madame l'épouse du général de Gaulle en personne) a demandé que j'y raconte l'histoire du Déluge de Viuz-en-Sallaz. En effet, dans cet épisode 8, j'ai évoqué cette heureuse localité, parlant surtout de François de Sales et des évêques de Genève. Vu que Ramiel de Saint-Génys est genevois, c'est bien normal. Et puis j'aime mêler la légende à la grande histoire, comme dans l'épopée. Le conte du Déluge est raconté par Guy Chatiliez dans Alpage de mon enfance, un beau livre sur la Vallée Verte et ses traditions populaires. J'ai préfacé et réédité cet ouvrage, je sais donc de quoi je parle: je connais bien l'histoire. 

Dans l'univers de ma chronique sur Ramiel de Saint-Génys, elle figure comme un spin-off, une exploration du monde merveilleux de la Savoie ancienne, sans rapport assez étroit avec la trame principale de la légende de Ramiel de Saint-Génys, qui est à la fois aristocratique et contemporaine. 

Par ailleurs, cette histoire est connue dans son thème: il s'agit de l'éternel mendiant qui est une divinité déguisée, qui se rend à tous les seuils d'un village ou d'une ville, qui n'est reçu que par la plus pauvre famille, et qui appelle la destruction sur tout le reste. Non seulement mille contes ont été faits sur ce thème, mais on le trouve dans la mythologie antique, chez Ovide: Jupiter et Mercure se rendent dans une localité et ne sont reçus gentiment que par Philémon et Baucis, ainsi sauvés quand tout le reste est anéanti. Jean de La Fontaine a traduit cette légende en vers français, on peut facilement la lire.

Beaucoup de naïfs croient que l'inspiration en est biblique parce que dans les contes populaires modernes la divinité déguisée est Jésus-Christ. Mais la Bible ne parle pas de cela à propos de Noé. L'épisode biblique qui s'en approche le plus est celui de Sodome, visité par des anges, qu'on menace de violer: Lot offre ses filles pour sauver ces hommes du ciel, et les anges donc le sauvent quand le reste de Sodome est anéanti par le feu du ciel, non par un déluge d'eau.

On s'imagine que seuls les chrétiens ou les adeptes de la Bible étaient soucieux de cette question de l'hospitalité accordée aux pauvres, mais les anciens Grecs et Romains l'avaient aussi, ainsi que le montre cette légende traduite par La Fontaine du latin classique.

En Savoie, la légende de ce genre la plus connue est peut-être celle de la Mer de Glace, pour deux raisons. D'abord parce qu'elle a été racontée par un écrivain un peu connu, Antony Dessaix, qui après l'Annexion a publié deux volumes compilant les contes et légendes de Savoie et de Haute-Savoie. Ensuite parce que le lieu même est célèbre. Cette légende raconte donc la même chose, et que le Déluge a été l'apparition d'une mer de glace. Mais Dessaix était voltairien, et au lieu d'envoyer Jésus-Christ vérifier la bonté du village antérieurement présent en ces lieux, il dit qu'un jeune saint, dont il ignore le nom, est venu des étoiles pour remplir cet office.

Pour le Déluge de Viuz, il faut dire plusieurs choses. La coulée de boue qui, sur les hauteurs de la commune, a enseveli plusieurs maisons, est authentique. On a donc cherché à en donner un sens moral, comme dans la mythologie antique, ou bien sûr la Bible. J'ai habité non loin, entre le bourg et cette ancienne coulée, à présent bien sûr mêlée au reste. J'avais une belle vue, ma maison étant orientée au sud. Mais une maison était en face, de l'autre côté de la rue, et cette vue était surtout celle du premier étage, depuis les deux chambres de mes enfants. Au rez-de-chaussée, elle était bloquée par l'autre maison. Je vis aujourd'hui à Samoëns, et ma vue est bien plus belle, et n'est bloquée par rien. 

J'ajoute encore ceci: un poète dialectal de Viuz a composé en vers ce conte, et c'est dommage qu'on n'ait pas publié son poème. On me l'a montré, il était dactylographié et photocopié. Il est coloré et plaisant, même coquin, car il raconte que Jésus-Christ déguisé en mendiant a été accueilli dans son lit par la pauvre femme seule, si bonne pour les pauvres. On ne sait si le poète a voulu plaisanter, mais cette histoire de lit est curieuse, et il semble insister dessus. Cela a pu être en tout bien tout honneur, ou pas. Le poète dit qu'ainsi elle a tenu chaud au pauvre homme. Qu'importe? Cela reste un don. Naturellement, personne ne sait si le dieu errant a réellement été accueilli dans le lit de la dame, ou si même il est jamais entré dans sa maison! Mais on peut aussi se demander dans quelle mesure cette hospitalité n'était pas elle-même intéressée, la pauvre femme souffrant de la solitude, et je ne sais pas si le poète s'en est rendu compte, mais le résultat est plaisant. Celui qui me l'a donné était une sorte d'initié aux mystères de Viuz, très critique vis à vis des prêtres catholiques, une sorte de nouveau Voltaire, peut-être franc-maçon, ou en tout cas sympathisant avec la plupart des idées du digne ordre. Cela avait peut-être un lien, ou alors mon interprétation maligne en est émanée. Il m'a donné ce texte avec un certain enthousiasme. Mais sans faire d'allusion à son ambiguïté, je ne pense pas.

On se souvient que Voltaire dans son épopée sur Jeanne d'Arc la dit dépucelée par un âne. Ce que c'est que le blasphème!

Voilà donc l'histoire du Déluge de Viuz, telle qu'elle est venue jusqu'à mes oreilles.

Comments

Popular posts from this blog

Almanach des Pays de Savoie 2025: Patrick Modiano, Louis Dimier et quelques autres

Une élégie pour mes chats

Un mouvement esthétique révolutionnaire est né: la Guilde des Poètes féeriques de Savoie