En mémoire de Jean-Martin Tchaptchet
Jean-Martin Tchaptchet est mort il y a deux ou trois ans (je n'ai pu savoir la date exacte), pendant que j'étais en Occitanie et dans l'incapacité de le revoir: lui vivait à Genève. Je ne l'ai su que beaucoup plus tard: je l'ai appris tout récemment.
Il s'agit d'un poète et écrivain d'origine camerounaise et naturalisé suisse, qui travaillait à l'Organisation des Nations Unies à Genève. Il avait fondé, avec Galliano Perut, la société des Poètes de la Cité, où je l'ai rencontré, après y avoir été amené par Viviane Sontag, dont je ne sais pas d'ailleurs non plus ce qu'elle est devenue: elle écrivait de beaux récits fantastiques, elle avait un très joli style. Je l'avais rencontrée, elle, par l'intermédiaire d'une autre société littéraire, dont le président m'avait rencontré à un salon du livre à Bonneville, en Haute-Savoie. Par la littérature, on passe aisément les frontières.
Et c'était la beauté des Poètes de la Cité, d'être une société très internationale: Galliano Perut était d'origine italienne, et on trouvait, sinon, des gens de toutes origines, dont souvent la langue maternelle n'était pas le français. Cela donnait à l'ensemble une grande liberté, parce que les styles, les idées, les méthodes étaient si différents qu'il était impossible de faire prévaloir une ligne, comme cela se fait souvent à l'intérieur d'une nation. La France par exemple se prétend cosmopolite et universaliste mais dans les faits ses sociétés littéraires le sont beaucoup moins que ne l'étaient les Poètes de la Cité à Genève, parce que sa mentalité coloniale lui fait considérer que ce qui est à la mode à Paris est universel par essence. Elle imite l'ancienne Rome, en cela, mais le fait a été abondamment dénoncé, et le gouvernement est à présent plus ou moins contraint de forcer les gens à y croire. Passons.
Jean-Martin Tchaptchet était par ailleurs un écrivain remarquable. Ses poèmes, marqués par le surréalisme et la manière dont Léopold Sédar Senghor l'avait utilisé, exploité et transformé pour exprimer ses sentiments les plus profonds, étaient émouvants et imagés. Mais ce qui a frappé les esprits, par dessus tout, était son autobiographie en deux volumes. Le premier, La Marseillaise de mon enfance, était un chef-d'œuvre d'émotion et de finesse. L'auteur y racontait son enfance à Bangangté, au Cameroun, dans l'ethnie globale des Bamiléké, dans l'ouest, et montrait comment la culture ancestrale en vint chez lui à s'opposer à la science enseignée par le lycée français de Yaoundé, où il fut accueilli grâce à ses bons résultats scolaires.
On pouvait y lire jusqu'aux croyances fantastiques de son royaume: par exemple, le roi, pour faire gagner son équipe de football dans les championnats, rendait invisibles les attaquants. Il était un puissant sorcier, un magicien. Bangangté est voisin des Bamoun, sultanat dont le chef est le maître de la fameuse société secrète des hommes-léopards. Mais les Bamoun sont musulmans, tandis que les Bangangté sont chrétiens ou animistes. Jean-Martin Tchaptchet s'était lui-même converti au protestantisme, et il le vivait très bien.
Cependant, lorsqu'il revenait au village, il sentait la distance qu'il y avait entre lui et les siens, désormais, et le mystère que représentaient pour lui les rites d'initiation auxquels on le soumettait. Le plus beau, toutefois, est qu'il ne se départait jamais, dans sa narration, d'un certain humour, d'une certaine tendresse pour son peuple: il ne se laissa jamais aller à l'imprécation.
Devenu étudiant à Clermont-Ferrand, il y a commencé son activité politique: il était au Parti National Camerounais. C'est ce qu'il raconte dans le second tome de son autobiographie, Quand les Jeunes Africains créaient l'Histoire. Il a assisté à la manière dont le gouvernement français a aidé le gouvernement camerounais devenu indépendant à se débarrasser des anciens indépendantistes qui estimaient qu'on ne leur marquait pas assez de reconnaissance. Le gouvernement camerounais entendait, après l'indépendance de 1960, rester en bons termes avec la France et dans une alliance atlantique globale, tandis que les frondeurs espéraient se rapprocher des Russes, des Chinois, trouver une liberté dans une alliance plus fédérale, moins oppressive. Quand la stratégie devient internationale, les gouvernements sont impitoyables: ils ne connaissent plus vraiment de lois. Hobbes en a parlé, je crois.
Jean-Martin Tchaptchet préparait un troisième tome et je ne sais pas où il en était au moment de sa mort. Il était né en 1933, et était déjà âgé. C'était certainement un grand homme, qui sentait les mystères de la vie et du monde, et était drôle et plein d'affection amicale pour les autres. C'était aussi un excellent ami. Qu'il repose en paix!
Comments
Post a Comment